Bitter Root 1. Affaire familiale

D ans la famille Sangerye, je demande la matriarche, Ma Etta. Toujours calme, agile et combative malgré le poids des ans. Blink, la petite-fille qui remplacerait le temps passé à râper les racines par quelques bastons contre les Jinoos. Il y a Cullen aussi, le petit-fils, encore un peu tendre, mais qui ne manque pas de courage. Ford et Berg, les cousins efficaces ; le premier a tout du bourrin, solitaire, alors que le second possède un physique impressionnant qui contraste avec son phrasé élégant. Ou encore l'oncle Enoch, dont les connaissances en arts obscurs et magie noire risquent d'être appréciables. Dans un Harlem en pleine révolte, cette drôle de famille reste l'une des dernières protections contre le mal qui s'insinue dans chaque homme.

Dès les planches d'entame, le ton de cette série atypique et ambitieuse est donné : combats, monstres et humour. Une stylisation qui ressort au premier regard, tant dans les choix vestimentaires des personnages que dans la morphologie des bestioles grâce au trait, précis et vif, de Sanford Greene. L'artiste se montre généreux en terme de mouvement, de décors et de mise en scène, et appuie ainsi le rythme totalement échevelé. Cette frénésie d'action, mise en valeur par les changements de lieu au sein d'une même planche, a de quoi désarçonner pour qui ne serait pas attentif. Mais elle offre l'occasion aux auteurs de construire une exposition originale (et active) de chacun des membres de la famille, des dangers qui se présentent sur leur route et ainsi plonger au cœur de l'intrigue teintée de fantastique et touffue.

Placée dans un après-guerre gangrené par la ségrégation, au cœur d'un Harlem en plein renouveau, celle-ci se veut à première vue claire. Toutefois, un second niveau de lecture permet de percevoir dans l'origine du mal qui frappe la population, blanche, une métaphore du racisme et plus largement de discriminations de nouveau sur le devant de la scène aujourd'hui. Sans se muer en moralisateurs, David F. Walter et Brown Chuck parviennent à interroger sans lourdeur ni victimisation. Ils imaginent une véritable mythologie autour des Sangerye, de leur fonction et de leur historique qui accroche le lecteur malgré une narration éclatée, pas mal d'ellipses et une structure kaléidoscopique déroutante. Heureusement, chaque protagoniste est suffisamment bien caractérisé pour créer et maintenir l'intérêt ou éveiller la curiosité. Grâce à la colorisation vive de Sanford Greene et Rico Renzi, qui en atténue le côté gore, les séquences apportent les informations nécessaires à la compréhension. Une fois les cinq chapitres dévorés, les enjeux sont posés, les forces en présence connues et certaines questions soulevées. De quoi susciter l'envie de connaître la suite.

Prémices d'un divertissement engagé, Affaires familiales lance Bitter Root sur des bases solides. Du fun, de l'action et de la réflexion, chacun y trouvera son compte alors autant ne pas passer à côté d'une des bonnes surprises de ce début d'année 2020.

Moyenne des chroniqueurs
7.0