Aldobrando

D epuis que son père l'a confié, encore enfant, à un mage, Aldobrando a grandi sans voir le monde. Tapi au fond de la cabane de son maître à écouter ses enseignements, le jeune homme va devoir s'aventurer loin de son relatif confort pour le sauver. Alors que le temps presse, il ne faut pas longtemps pour que son expédition tourne au vinaigre. À peine le premier village atteint que les ennuis commencent pour le petit orphelin...

C'est pour habiller un jeu de société de son invention, Bruti, que l'auteur de La terre des fils imagine une fosse dans laquelle des combattants s'affrontent à mort. Parmi toute la galerie d'adversaires, la figure naïve et frêle de ce qui deviendra Aldobrando ressort. Gipi lui imagine tout un passé et une vie pour donner du corps à son jeu et faire vivre la campagne de financement participatif en 2015. Deux ans plus tard, après avoir découvert le travail de Luigi Critone sur la trilogie Je, François Villon, le scénariste décide de s'associer à lui pour développer une bande dessinée dans cet univers.

Si quelques personnages, Gennaro le valet ou Lesemeurdemort, avaient déjà été esquissés, le dessinateur transalpin a pu laisser libre cours à sa créativité. Il pose d'emblée une ambiance médiévale glauque et sale, au cœur d'une Italie moyenâgeuse fantasmée. La rudesse de la vie et la violence omniprésente mettent d'autant plus en relief l'anti-héros candide pour qui les manigances de la cour sont inconnues. Avant même de découvrir la trame, c'est bien ce graphisme, aux accents historiques réalistes qui frappe. Une représentation fidèle grâce à un trait précis, à l'encre de chine habillé au lavis bleu-gris, que la colorisation, œuvre de Claudia Palescandolo et Francesco Daniele, transcende. Leur travail sur la luminosité et les clairs-obscurs, remarquable, apporte de belles textures et marque chaque scène d'une atmosphère forte.

Cette mise en image impeccable accompagne la subtile imbrication des textes et du découpage. Les premiers reposent exclusivement sur de nombreux dialogues à l'écriture exemplaire, dont les récitatifs et bulles de pensées sont bannis. Le second module le rythme, en l'étirant ou en l'accélérant en fonction du besoin. Certaines séquences se passent même de mots sans perdre en puissance narrative. Quel que soit l'effet recherché, les cadrages font la part belle à l'expressivité de personnages à la psychologie travaillée. La proximité qui en résulte permet de suivre à hauteur d'homme l'évolution de l'intrigue et garantit ainsi une belle immersion. Sous ses allures de conte fantasy des plus classiques, l'histoire s'avère retorse et pleine de rebondissements. Du côté caricatural du dessin à certaines répliques, en passant par le choix des noms des protagonistes, l'humour parsème le récit mais n'en masque pas pour autant la profondeur. Gipi tourne en ridicule les puissants, se moque de la vanité humaine (masculine bien souvent) et de leur fascination pour la violence, tout en parlant d'amour, de courage et de liberté.

Fruit d'une association grandiose, Aldobrando dépasse les attentes et marque ce début d'année. Magistralement narré, ce conte satirique et romantique emporte par sa force et sa poésie au point d'inviter à la relecture et de rêver à une nouvelle aventure.

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