4 vieux enfoirés

Q uelque part en Europe, 2027. Le gouvernement est sur le point d’implanter son nouveau plan de relance économique et assure que les sacrifices de la population n’ont pas été vains. Colt s’en fout. D’abord, il est vieux et n’en a plus longtemps et puis, les gens sont des abrutis, point à la ligne. Il n'y a rien à en tirer. Après l’incendie de sa maison, il est obligé d’aller squatter chez son neveu (un sacré corniaud, si vous voulez son avis). Celui-ci le convainc d’essayer un séjour à la Villa Doris, un établissement pour personnes âgées. Pouah, un mouroir ! Las, il finit par accepter, au moins c’est nourri, un luxe par les temps qui courent. De plus, s’il joue le jeu et répond sagement aux questions de la doctoresse/directrice (une autre tarée, enfin passons), il aura accès à la salle de musique (le rock, il n’y a que ça de vrai).

4 vieux enfoirés est une œuvre fleuve et ambitieuse balayant large, très large. Simone Angelini a imaginé un récit aux ramifications multiples, parfois incongrues et toujours surprenantes. Au centre des débats, Colt, un white trash vaguement punk sur le retour est au crépuscule de sa vie. Il ne se retrouve pas au sein d’une société où l’âgisme est devenu petit à petit raison d’État (un parti suggère même un amendement « Green Solyent » pour régler le problème). En gros, il a la haine, envers le monde et aussi contre lui. Une fois installé dans sa nouvelle institution, la situation va rapidement partir en torche, alors qu’il réalise que le portrait qu’on lui en a fait cache une réalité bien différente. Si le scénariste semble savoir où il va, le lecteur a intérêt à s’accrocher à ses baskets pour tenter de suivre. En effet, l’action, qui se joue autant dans les couloirs du home que dans les psychés d’une distribution digne de David Lynch, se montre sibylline, voire nébuleuse.

Riche à en devenir indigeste, le scénario souffre d’une surenchère narrative et, surtout, d’une intrigue globale peu inspirante. Pour autant, l’album regorge de bonnes idées, comme les portraits à la limite de la psychanalyse des différents protagonistes ou la dérive fascisante du pays sous les coups du néo-libéralisme. Le tout est saupoudré d’un humour très noir dans la lignée des comédies à l’italienne des années soixante.

La mise en image très inégale de Marco Taddei ne joue également pas en faveur de l’ouvrage. Là où des dessinateurs comme Daniel Clowes, Charles Burns ou même Adrian Tomine arrivent à retranscrire la déchéance et la désintégration intérieure, Taddei ne propose qu’un aperçu bien pauvre des tourments de ses acteurs et de cet angoissant futur. C’est d’autant plus dommage que la mise en page et le découpage sont efficaces et recèlent quelques trouvailles visuelles intéressantes.

Dystopie – le genre est à la mode – sur fond social mêlant dérives économiques, fascisme, un soupçon de fantastique et études de cas à la psychologie poussée, 4 vieux enfoirés ne tient malheureusement pas ses promesses. Trop long, trop dense et esthétiquement peu attrayant, il étouffe tranquillement sous son propre poids au long de ses trois cents pages, avant de s’achever dans l’indifférence.

Moyenne des chroniqueurs
4.0