Ils ont fait l'Histoire 32. Staline

E n janvier 1934, lors du 17ème Congrès du Parti communiste de l’Union soviétique, Staline évoque l’essor industriel du pays grâce aux classes laborieuses. Ce qu’il présente comme un succès lui permet de balayer d’un revers de la main les rumeurs de famine en Ukraine et de légitimer sa politique musclée. Quelle consécration pour le secrétaire général ! Pourtant, en 1922, il était bien éloigné de cette position de force, alors que Lénine, très malade, souhaitait l’évincer de son poste clé au profit d’une figure plus conciliante. Au lendemain du décès du leader bolchevik, le sort du Géorgien aurait bien pu basculer. En cette heure périlleuse, il lui fallait prendre de court tous ses rivaux. Par tous les moyens, peu importe les dégâts.

Après Elisabeth Ière (en 2016) et Winston Churchill (intégrale parue en mars 2019), Vincent Delmas (Synchrone) s’attaque à la figure de Staline dans le trente-deuxième tome de la série Ils ont fait l’Histoire. Pour cela, il est secondé par un éminent historien spécialiste de l’URSS, Nicolas Werth, qui signe le très intéressant et bien documenté dossier final de l’album.

Plutôt que de raconter l’ensemble de l’existence de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, le scénariste privilégie la période de la prise de pouvoir effective du « petit père des peuples ». Pour autant, il n’oublie pas de faire allusion au fil du propos aux origines non russes du personnage, à ses premières activités de rébellion contre le régime tsariste ou encore à sa vision de la montée en puissance d’Hitler qu’il semblait admirer. Depuis la récupération de l’héritage politique de Lénine par d’habiles manœuvres jusqu’à l’établissement d’un véritable culte de la personnalité, en passant par la collectivisation forcée, la traque aux opposants, la vague des grands procès, ce sont ainsi deux décennies d’une histoire complexe et souvent sanglante qui sont relatées, mais aussi le caractère et l’ambition d’un homme dont la main d’acier ne s’embarrassait nullement d’un gant de velours. Par ailleurs, si l’aspect politique est évident très présent à travers la rivalité avec Trotski ou Boukharine ou dans l’utilisation de la propagande, la dimension humaine de l’individu n’est pas occultée. Ainsi, les apparitions de la première épouse de Staline en disent-elles long sur la propension du dirigeant à la colère, à la violence et à un certain machisme. De même, malgré des gestes tendres et paternels, une scène avec sa fille en fin d’album fait froid dans le dos au regard de ce qui se passe dans les vignettes qui l’entourent.

S’appuyant sur le travail de Christophe Regnault au storyboard, le récit est porté par le dessin réaliste de Fernando Proietti, que vient compléter la colorisation d’Arancia Studio. Le style graphique se distingue par un trait à l’encrage assez épais qui, dans l’ensemble, fonctionnerait plutôt bien si, par moments, les jeux d’ombres ne venaient complètement noircir certains visages. Pour autant, les protagonistes demeurent largement reconnaissables et expressifs. Classiques, le découpage et les cadrages variés offrent une bonne dynamique.

Ce Staline propose un portrait sans concession du dictateur soviétique à travers vingt années d'ascension puis d'installation pérenne au pouvoir. Il est dommage que la mise en image, quelque peu en deçà, ne convainque pas autant.

Moyenne des chroniqueurs
6.0