Le château de mon père

V ersailles, tous les jours des centaines d’autocars y déversent des milliers de touristes venus se souvenir de ces temps lointains où la royauté y était établie. Peu de ces badauds savent pourtant que vers la fin du XIXe siècle, l’endroit, délaissé, hébergeait un banal musée généraliste dédié à l’histoire de France. Pierre de Nolhac n’a pas trente ans lorsqu’on lui confie les destinées du château. Il y vit avec femme et enfants et n’a qu’un rêve : lui redonner sa superbe. Petit à petit, il restaure les salles et modifie les collections pour qu’elles retrouvent leur aspect antérieur à la Révolution. Gagnant en prestige, le bâtiment accueille invités de marque et cérémonies prestigieuses. Par exemple, vainqueurs et perdants de la Première Guerre mondiale s’y donnent rendez-vous pour signer le traité de paix mettant fin aux hostilités. La médaille a tout de même un revers : le bourreau de travail voit son épouse le quitter et son garçon le renier.

L’historienne Maïté Labat et le romancier Jean-Baptiste Véber mettent en lumière des événements méconnus. Ils font le portrait d’un visionnaire, habile conservateur, mais surtout celui d’un homme entêté qui tente de renouer avec le passé, alors qu’à moins de vingt kilomètres Paris convoque le monde à ses expositions universelles tournées vers le futur. Le tandem trace du reste un parallèle entre la demeure du Roi-Soleil qui gagne doucement ses lettres de noblesse alors que, par un cruel jeu de vases communicants, la famille du protagoniste s’étiole. La chronique est d’ailleurs narrée par Henri, un des fils du héros, lequel se révèle un témoin privilégié des bouleversements. Le récit couvre une vaste période, de l’arrivée du fonctionnaire en 1887 à son décès, au musée Jacquemart-Andrée, un demi-siècle plus tard. L’alternance des époques est fluide et la narration limpide.

Le dessin d’Alexis Vitrebert se montre pour sa part remarquable. L’artiste, pour sa première bande dessinée, démontre une belle maîtrise du lavis, tant dans sa représentation de l’édifice que dans celle des personnages. Ses cases, habituellement de grande taille (généralement trois bandes de deux vignettes), permettent aux illustrations de respirer et à la grandeur des lieux de s’exprimer. Le jeu des acteurs est sobre, mais toujours juste.

Coédité par le Château de Versailles, Le Château de mon père est probablement une commande. Peu importe, cet album est bien plus qu’un souvenir vendu aux visiteurs.

Moyenne des chroniqueurs
8.0