Une année sans Cthulhu

S amuel et Henri sont scolarisés au lycée d’une petite ville du Lot, Auln-sur-d’Arcq. Leur fin d’adolescence s’écoule et jamais ils ne revivront ces moments à écouter les Bérurier noir, à rouler en mobylette, à boire des bières, à fumer quelques joints, à passer leur ennui accoudé au zinc du bar du coin ou à organiser des jeux de rôles au milieu des tombes du cimetière municipal. Puis, il y a les filles. Celle de toujours, la pauvre Marie, une histoire pas facile ; et surtout Mélusine, une nouvelle un peu bohème dont il paraît que le paternel officie en qualité de druide. Ah oui, il y a aussi Oriane. Un vrai démon celle-là. Sa mère, élue communale, prend inlassablement sa défense au détriment des deux compères. Alors lorsque la police se met en branle, il ne fait pas bon de rester dans les parages pour ces jeunes rebelles.

Après la revisite de la science-fiction interprétée à l’aulne des années cinquante (Souvenirs de l’empire de l’atome) et du thriller d’espionnage typé fumetti très sixties (L’Été diabolik), le duo de créateurs s’attaque aux années quatre-vingt en mêlant tuerie de masse à l’essor des distractions informatiques. Les références sont assumées et égrainées en fin d’album (Tron de Steven Lisberger, Blue Velvet de David Lynch, Stephen King et notamment l’adaptation de son roman Dead Zone par David Cronenberg, The Origin of Consciousness in the Breakdown of the Bicameral Mind de Julian Jaynes et le jeu Qix développé par Randy et Sandy Pfeiffer).

Premier coup de théâtre, H. P. Lovecraft n’a pas influencé les auteurs alors même que les simples initiés avaient découvert un tentacule sur la couverture et l’utilisation du nom du monstre cosmique au sein même du titre. Deuxième surprise, cette période en France est en tous points différente de celle mise à l’honneur par la pop-culture américaine et notamment par la production de Netflix, Stanger Things. Il faut dire que la série flatte la nostalgie des quadragénaires. Là où, sans lui faire offense, Thierry Smolderen avait déjà bourlingué, affichant au compteur une décennie de plus d’influences musicales, littéraires et cinématographiques.

De ce côté de l’atlantique, ce sont les faits divers portés par la télévision qui inspirent le scénariste, que soit l’affaire de la Vologne ou le massacre de Louveciennes. Exit les médias, une pincée de fantastique et une autre de science. Voilà donc la recette concoctée par le professeur de l’École Européenne Supérieure de l'Image (EESI). Au fil de la narration, les fausses pistes sont déjouées, les buts des protagonistes dévoilés et les révélations affluent, enfin presque toutes.

La mise en images est assurée par Alexandre Clérisse dont la ligne claire très géométrique est à rapprocher des tableaux de François Avril. À la différence notable de l’introduction de la couleur qui emplit chaque forme et fait disparaître l’encrage. De temps à autres, un trait accompagne une silhouette ou renforce une expression, mais toujours avec parcimonie. Produit sur le logiciel Illustrator, le rendu est sublime et tout à fait singulier. Exception faite de la séquence en noir et blanc, plus convenue. Courte, mais introductive et donc importante, elle laisse un peu froid. Tant mieux, elle se déroule dans la nécropole locale.

La maquette du livre est identique aux précédentes, un dos rond, de nombreuses planches, un papier épais et un encadré attendant une dédicace prochaine. L’éditeur consacre en plus quelques pages d’indiscrétions sur l’envers du décor. Chaque lecteur aura sa collaboration préférée. Pour les rôlistes et autres aficionados des premiers jeux d’arcades, vous ne passerez pas Une année sans Chtulhu.

Moyenne des chroniqueurs
7.0