STUM

U n honnête homme perd son boulot. Épuisé, il manque d’avoir un accident. Rentrant chez lui, il découvre sa femme au lit avec un autre. Dure journée ! Le groupe, pour lequel il travaillait traque les inadaptés et les retraite. Un recyclage en matière première de construction, une manière de les insérer de force dans la société de demain. La même entreprise embauche des scientifiques en vue de réaliser des découvertes mirifiques. Bon, pour l’heure, ces ayatollahs du progrès achètent des enfants à des familles désœuvrées et leur inoculent un cancer. Une tumeur qui prend vie, interagit avec son hôte jusqu’à déstabiliser l’ordre établi.

Yann Taillefer délivre quatre scénettes, muettes et partiellement indépendantes. Il bâtit un univers, où les décors contemporains ne jurent pas à côté des machines. Les bas-fonds, les bars glauques et la présence de « réplicants », qui pourchassent les laissés pour compte, marque-là une référence appuyée au roman de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Ces automates traquent sans peine. Ils sont omniscients, à l’instar des Téléscans décrit par George Orwell dans 1984. Le rapprochement des œuvres permet d’ailleurs d’identifier un rouage équivalent lors de l'élaboration de l’intrigue, à savoir le métier du héros. Au début de la dystopie, Winston Smith a pour fonction d’archiver et de modifier les faits dans une base de données du Ministère de la Vérité. Dans Stum, le premier protagoniste a pour mission d’apposer un tampon sur des dépêches, afin d’en valider l’enregistrement. Construit de manière identique, cet emploi est le générateur des événements à venir.

Un autre ancrage prégnant est la libre adaptation de Soleil vert, de Harry Harrisson, par Richard Fleischer. Ce film aborde le reconditionnement des morts en nourritures pour offrir, sous forme de ration, les apports journaliers nécessaires à la population. Le scénariste évite les considérations sur l’âme du défunt ou le cannibalisme mortuaire en décalant le propos. Il présente une réutilisation d’un être humain en brique. L’ouvrier non-productif devient un composant capital d’un édifice appartenant au personnage de pouvoir par excellence, le patron !

Si les renvois à la littérature et au grand écran transparaissent, l’influence de la bande-dessinée n’est pas en reste. Il y a un cousinage flagrant avec Smart Monkey et Pinocchio de Winshluss, à la fois en ce qui concerne le découpage saccadé des séquences qui amène une fluidité cinématographique, puis dans la réprobation du libéralisme économique.

L’album souple a un visuel à part. Le blanc du papier traverse les courbes tracées au stylo bille. Le rendu de cet outil tétanise la rétine pendant quelque pages. Puis l’œil s’adapte, au point de prendre du plaisir à comprendre l’articulation des plans. Les planches des deux histoires inaugurales débordent de traits rouge et bleu, grattés à différentes intensités, pour qu’à l’intérieur de chaque case, la profondeur se matérialise. Le noir succède ensuite à l’azur, mais son utilisation diffère dans les aventures suivantes où il prend la forme d’un contour plus académique.

Anticonformiste jusqu’à la lie, l’auteur semble avoir produit son ouvrage d’un seul jet, sans que les nouvelles forment un récit choral. Les deux éditeurs, les Requins marteaux et Super loto éditions, n’apportent pas davantage de textes explicatifs. Un matériau brut, en somme, à consommer de préférence avant que vous ne soyez valorisé en parpaing !

Moyenne des chroniqueurs
7.0