Tolkien - Éclairer les ténèbres

D iscret malgré l’énorme popularité rencontrée par ses romans, John Ronald Reuel Tolkien (1892 – 1973) reste un nom peu connu du public. Pourtant, avec Le Hobbit et encore plus avec Le Seigneur des Anneaux, il a atteint un niveau de notoriété que seul une poignée d’écrivains peuvent s’enorgueillir de posséder. Évidemment, derrière chaque œuvre, il y a d’abord un vécu. Dans Tolkien - Éclairer les ténèbres, Will Duraffourg et Giancarlo Caracuzzo remontent la piste pour, non pas établir une carte de La Terre du Milieu, mais plutôt appréhender son orogenèse intime, quelque part entre l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni. Il y est question d’érudition, alors qu’étudiant il se spécialise en philologie et en langues anciennes, d’amitié indéfectible et de guerre, celle des Tranchées qui le marquera à jamais. Et, comme il n’y a pas de grand homme sans une femme à ses côtés, Edith – sa Lúthien bien-aimée - figure également en bonne place dans cette originale exploration biographique.

Même si les auteurs retracent précisément le cheminement de Tolkien pendant la première moitié de sa vie, jusqu’en 1930 environ, l’album se lit quasiment comme une enquête ou une course au trésor pour retrouver les prémices ou les éléments qui nourriront ses célèbres écrits. Une araignée effrayante qui l’avait mordu durant son enfance à Bloemfontein, cette confrérie secrète formée entre quatre amis sous le signe de la poésie et de l’écriture, la désolation des champs de bataille de la Somme, etc. Même si les aventures de Bilbo et Frodon se déroulent à travers un pays imaginaire, l’ouvrage démontre bien que le romancier avait largement puisé dans ses propres expériences afin de donner de la chair à ses créations.

Le scénario, astucieusement conçu (les descriptions épistolaires croisées à propos du front que s’échangent les quatre anciens coreligionnaires sont excellentes, par exemple), se montre un peu dense, mais est globalement très bien écrit et mené. Pour les illustrations, le travail de Caracuzzo est plus nuancé, particulièrement quand les canons viennent à tonner. En effet, si la reconstitution de l’Angleterre de la Belle Époque est agréable et somme toute fidèle, les choses se gâtent avec 14-18 et ses tranchées. Sans entrer dans le jeu des comparaisons, ces planches font néanmoins bien pâles figures face à celles de Tardi ou de Maël. La situation est d’autant plus regrettable que le conflit s’avère être un moment-clef pour comprendre l’évolution de la personnalité de l’écrivain.

Intéressant, voire passionnant pour les amateurs d’héroÏque-fantasy, Tolkien - Éclairer les ténèbres est une lecture forte. Dommage que les dessins peinent à mettre en relief toutes les épreuves traversées par ce génial créateur et ses contemporains.

Moyenne des chroniqueurs
6.0