Seul au monde (Fino) 1. Chanteloube

124 jours, 12 heures, 38 minutes et 18 secondes : c'est le temps qu'il aura fallu à Sébastien Destremau pour boucler la 8 ème édition du Vendée Globe 2016-2017. Sur une trentaine de concurrents engagés, il termine dix-huitième et lanterne rouge de cette épreuve hors du commun. Dernier certes, mais premier dans les cœurs d'une foule immense, entassée sur toute la longueur des quais du quartier pittoresque de La Chaume qui bordent le chenal des Sables-d'Olonne. L'ovation aussi inattendue qu'incroyable qui lui est faite le chavire d'émotion. Elle est la juste récompense à toutes ces années de sacrifices et de souffrances. Voici l'itinéraire d'un enfant peu gâté, devenu navigateur de légende.

«Est-ce que je suis capable non seulement de partir, mais aussi et surtout de revenir ?» - S. Destremau

Le Vendée Globe est une course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance. De ce fait et de l'avis de tous, elle est considérée à ce jour comme étant la plus difficile et par conséquent la plus belle discipline qui soit. La question est de savoir s'il suffit d'aimer les sports nautiques pour aller voguer dans ces mémoires ? Non, pas seulement. Car si la compétition et toute sa préparation figurent en toile de fond de ce premier tome, le véritable intérêt est ailleurs. Comme dans les yeux de ce gamin, vrai souffre-douleur d'un père intransigeant et brutal. À partir de cette période de sa vie, il va, par la force des choses, se forger une détermination inébranlable, et ce, afin de tenter de prouver aujourd'hui à ceux qui l'entourent de près, comme sa mère, ses amis et ses sponsors ou de "très loin" comme feu son paternel ou ses propres enfants qui le boudent, qu'il aura mérité un brin de reconnaissance, d'admiration et d'amour. Ce sera là sa plus belle victoire.

Le récit, extrait de l'autobiographie éponyme paru chez xo éditions en juin 2017, est présentement relayé par Serge Fino. Il parvient judicieusement à jongler entre les passages sur l'adolescence douloureuse du jeune homme et, plus récemment, les nombreuses mésaventures pour parvenir à mettre en place un projet sportif susceptible de tenir "la mer". À la hauteur de sa démesure, le lecteur prend place dans une histoire vraie et insensée dans laquelle le dépassement de soi-même, le courage et le duel déséquilibré qui l'oppose aux éléments et à dame nature en sont les maîtres mots. La rencontre avec ce skipper singulier, fort en gueule et quasi self-made-man dans le milieu de la voile, est attachante et particulièrement émouvante.

«Le Vendée Globe est une course sans pitié, la plus dure au monde. Au niveau de la distance et de la solitude, seule une course dans l'espace serait comparable» - S. Destremau

Toujours sous la houlette de Serge Fino (Les Ailes du Phaéton, Les Maîtres-Saintiers), le dessin est une bonne mixture d'art abstrait et de réalisme, en témoignent les couleurs directes et douces. Le trait est précis sur le monocoque, qui fait presque figure d'optimiste comparé aux bateaux de ses adversaires davantage profilés offshores, sur les décors maritimes ou sur les personnages. Incontestable incitation à l'embarquement pour un voyage prévu en cinq volumes et auquel il ne manque qu'un peu d'épaisseur pour être labellisé roman graphique, les cases, tels des embruns, viennent rafraîchir les yeux.

D'Alain Colas jusqu'à Armel Le Cléac'h, en passant par Eric Tabarly, Michel Desjoyeaux, François Gabard ou encore Florence Arthaud, Sébas"tiens bon la vague, tiens bon le vent, hisse et haut...Destremau..." file dans le sillage des plus grands. Plus qu'une simple régate de quelques pages, Chanteloube constitue une excellente première virée.

Moyenne des chroniqueurs
7.5