Zaroff 1. Zaroff

L e général Zaroff est un homme cultivé et raffiné. Il connaît les bonnes manières, possède une bibliothèque bien garnie et cite Marc Aurèle. Il est par ailleurs passionné de chasse, à un point tel qu’il s’est construit un petit paradis, au large du Vénézuela, où il peut s’adonner à son appétence. Au cours de ses expéditions passées, il a tué des girafes, des rhinocéros et des buffles ; depuis un moment, il apprécie cependant particulièrement la traque du bipède. L’une de ses victimes est un des chefs du crime organisé irlandais de Boston. Et comme les mafieux ont le sens de la famille, l’héritière, Fiona Flanagan, est déterminée à venger son père. Elle enlève la sœur et les enfants de l’ancien militaire et les place au centre de l’affrontement, sur l’île.

Sylvain Runberg s’inspire du roman Le jeu le plus dangereux, de Richard Connell, qui a déjà été adapté au cinéma sous le titre Les chasses du comte Zaroff. Dans ce récit, l’ambiguïté des rôles est fascinante ; le chasseur devient chassé, le chassé devient chasseur, les adversaires pactisent et les alliés se déchirent. Par exemple, non seulement l’orpheline affronte-t-elle le meurtrier, mais elle doit également contenir ses subordonnés qui défient son autorité. Aussi, il faut se méfier de la nature ; les lieux sont infestés de crocodiles, un quatuor de jaguars rôde et, surtout, une tempête souffle avec rage. Au final, l’histoire, violente et cruelle, a l’allure d’une quête d’où chacun sort transformé. L'un renoue avec ce qu’il est vraiment, d’autres se découvrent une force insoupçonnée, puis il y a les derniers, ceux qui n’en réchappent pas.

François Miville-Deschênes demeure un surdoué du dessin réaliste. Sa représentation de la jungle et des créatures qui l’habitent se révèle saisissante. Ses acteurs se montrent également crédibles, même si quelques bandits ont parfois tendance à surjouer. Il n’y a aucun temps mort dans ses illustrations, une stratégie qui lui permet d’accentuer le caractère oppressant de l’entreprise. Il est à noter que la couleur fait partie intégrante de la narration ; dans cet univers largement dominé par le vert, le rouge s’impose périodiquement, notamment lorsque l’artiste représente le psychopathe dans sa robe de chambre écarlate debout au milieu de la forêt. Cette teinte est d’ailleurs celle de la chevelure de son ennemie et, évidemment, celle du sang que tous deux font abondamment couler. Ce pigment est enfin fréquemment associé aux épisodes les plus brutaux. Et il y en a plusieurs.

Un exercice de style efficace présentant tout de même certaines limites ; la deuxième partie manque du reste un peu de souffle.

Moyenne des chroniqueurs
6.5