Le sortilège de la femme-automate

O lympia, une femme-automate, est l’attraction principale d’une « foire aux freaks » un peu sordide où séjourne une ménagerie de créatures improbables : danseuse élastique, momie vivante, garçon pingouin, Vénus aux serpents, etc. Le robot, fabriqué à Vilnius en 1790 par le savant polonais Vasil Kostenko, s’affiche, entre autres, comme un redoutable joueur d’échecs. Après avoir été sèchement battu, Antoine paraît prêt à prendre tous les risques pour percer le mystère de la championne, même celui d’en tomber amoureux. L’androïde semble d’ailleurs s’humaniser et cherche à s’affranchir de son propriétaire, l’horloger Zacharius. Ce dernier a une fille, Lola, laquelle se révèle la copie conforme de la bicentenaire, ce qui n’est pas sans créer la confusion.

Les apparences demeurent trompeuses dans Le Sortilège de la femme-automate. La fable discute du vrai et du faux, de l’honnêteté et de la supercherie, de la vérité et du mensonge. Les protagonistes tentent, tant bien que mal, de faire la lumière, mais dans le fond, est-ce si important ? Au-delà de l’anecdote, c’est surtout le climat qui séduit. Alexandre Kha décrit un microcosme singulier, établi dans une ville portuaire américaine désertée par ses habitants. L’histoire se passe aujourd’hui, cela dit, les marqueurs temporels se montrent ténus. Les comédiens utilisent des téléphones portables et des tablettes ; leurs véhicules évoquent cependant davantage les années 1950 ou 1960, l’observateur notera de plus qu’au détour d’une case, un dirigeable anachronique flotte dans le ciel. Le concept même d’une kermesse animée par des monstres et visitée par des voyeurs en mal d’émotions fortes appartient aussi à une époque révolue. Pour tout dire, le scénariste parvient subtilement à déconstruire le monde, puis à en réagencer les morceaux dans une séquence nouvelle, peut-être dans une civilisation post-apocalyptique, ce qui expliquerait les difformités affligeant la quasi-totalité des acteurs.

Bien que son dessin soit minimaliste, l’auteur, qui tient également les pinceaux, arrive à construire un univers fascinant habité par une faune étonnante. L’amateur du neuvième art pense aux créatures de Carlos Nine, le cinéphile aux extravagants personnages de Tim Burton et l’historien de l’art aux êtres imaginaires de Jérôme Bosch et parfois aux petits bonshommes de Paul Klee. Le récit est par ailleurs ponctué de segments élégamment dessinés en ombres chinoises racontant les pérégrinations de l’androïde, avant qu’elle ne soit rachetée par son maître actuel. Le découpage, dans l’ensemble assez sage, est en porte-à-faux avec l’esprit du projet ; la colorisation en bichromie contribue pour sa part à situer le conte hors du temps et de l’espace.

Un album atypique, surréaliste et onirique.

Moyenne des chroniqueurs
7.0