Les tableaux de l'ombre Les Tableaux de l'ombre

L a colère gronde dans les couloirs du Louvre. Il n'y en a que pour les stars, les soi-disant « chefs-d’œuvre ». Ah ça, il y a du monde pour faire des selfies avec l’Italienne aguicheuse. Par contre, devant les petites peintures de maîtres moins connus, que des courants d’air, personne ne s’arrête ou ne prend vraiment la peine de les regarder. Trop, c'en est trop et une action d’envergure est engagée. Demain, à l’ouverture des grilles, c’est façon cubiste qu’on va les retrouver éparpillés aux quatre coins du musée !

Après Jirô Taniguchi, Nicolas De Crécy, Étienne Davodeau et quelques autres, c’est au tour de Jean Dytar de servir de guide le temps d’un album ayant le Louvre comme écrin. Une fois le dernier visiteur parti, les personnages prennent vie et sortent de leurs cadres, c’est avec ce poncif mille fois déjà vu en BD et au cinéma que débute Les tableaux de l’ombre. Alors que tout annonçait une énième histoire parodique de guéguerre entre style et époque, l’auteur de Florida tourne sa casaque et plonge le lecteur dans une réflexion sur la célébrité et le rapport à l’image à l’heure des réseaux sociaux. Accumulant les mises en abyme prodigieuses (et n’oubliant pas de faire un énorme coucou à Marc-Antoine Mathieu), le scénariste dynamite son récit pour mieux le reconstruire. Pour autant, la narration ne verse absolument pas dans l’expérimentation purement intellectuelle. À l’image de Pascal Jousselin et son fantastique Imbattable, l’ouvrage reste totalement accessible même aux plus jeunes.

Le dessinateur est particulièrement connu pour la versatilité de ses styles graphiques. Il étonne une fois de plus en ayant choisi une approche quasiment typée « Disney ». Oui, les bouilles sont souriantes et sympathiques, mais elles ne renient jamais leurs origines classiques. Échappées de leurs toiles, les figures restent toujours identifiables (se référer aux pages de garde pour connaître la peinture originale). Une astuce parmi tant d’autres, Dytar ne recrée pas, il se limite à animer et utiliser avec espièglerie son matériel d’origine, cadrage y compris. Ainsi Mona Lisa se retrouve cul-de-jatte et Jibé (saint Jean-Baptiste pour les intimes) avec une crampe au bras droit.

Péripéties amusantes, excellente vulgarisation artistique, discussion sur l’importance et les limites de la popularité, évolution des goûts à travers les siècles, etc., Les tableaux de l’ombre fait mouche à tous les niveaux. Il est certain qu’après cette lecture jubilatoire fruit d’une imagination sans borne, plus personne ne visitera l'honorable musée de la même manière.

Moyenne des chroniqueurs
8.7