Lino Ventura et l'œil de verre

L orsque Lino Ventura se trouve devant la caméra, tout se passe dans son regard. Le colosse n’est pas bavard. Alors quand Merlin l’aborde pour une entrevue, il a peu à dire. Malgré ses réponses succinctes et évasives, le reporter insiste ; peu à peu, la célébrité se confie. Il raconte des bribes de son passé de lutteur, évoque ses débuts à l’écran et se souvient de son intransigeance. Rigoureux et intègre, il s’interdit d’interpréter un personnage s’il ne le comprend pas parfaitement. Peu loquace sur sa carrière, il l’est encore moins sur sa vie personnelle. Seule sa fille, souffrant de déficience mentale, l’amènera à sortir de sa réserve lorsqu’il se fait le porte-parole d’une association venant en aide à ces personnes.

L’histoire, signée Arnaud Le Gouëfflec, est à l’image du protagoniste : tranquille. De fait, il y a assez peu d’action dans cet album. Une bonne moitié du temps le scribouillard s’accroche à l’interprète qui l’envoie paître, parfois brutalement. Cette rencontre avec le représentant des médias manque de mordant. C’est probablement pourquoi le cours de la narration prend de fréquentes pauses, lesquelles donnent l’occasion au scénariste de présenter ses cinq scènes-clés, de dresser la liste des propositions déclinées par l’acteur ou celle des sommités reçues à sa table. Le récit est par ailleurs ponctuellement interrompu par Les aventures de Lino et Bruno, de courtes fictions adoptant un ton discordant pour explorer l’enfance du Franco-italien. Bref, l’auteur s’efforce de briser le rythme d’une bande dessinée qui pourrait vite se révéler monotone.

Le dessin de Stéphane Oiry se montre également sage. Les cases se suivent et se ressemblent. L’homme demeure toujours impassible, rarement souriant et éternellement vêtu d’un imperméable sans grande personnalité. Dans l’ensemble, le jeu des comédiens distille une certaine raideur, même celui du journaliste, dont l’allure négligée contraste avec celle, très soignée, de son comparse. Les teintes sont pour leur part plutôt sobres ; beaucoup de jaune pâle, de marron et de bleu gris. Les couleurs étant en aplat, les ombres sont réalisées en superposant une trame bien visible faite de petits points assurant un effet vieillot et sympathique.

Au final, le propos laisse songeur : ce n’est ni une biographie ni un commentaire sur la vie professionnelle du héros, pas davantage une analyse de son œuvre. En fait, le projet se veut avant tout la chronique de l’étrange relation qui se noue entre deux individus fort différents, un peu comme Pierre Richard et Gérard Depardieu dans La chèvre... une des nombreuses productions à laquelle la vedette a dit non.

Moyenne des chroniqueurs
6.0