La curée 1. La curée

A u lendemain de la prise de pouvoir par Louis-Napoléon Bonaparte, Aristide Rougon arrive à Paris, accompagné de sa femme Angèle et de son fils Maxime. Ancien Républicain, nouvellement converti à l’Empire, il est obsédé par l’idée de faire fortune. Son frère Eugène lui obtient une place à l’administration de l’hôtel de ville de la capitale. Aristide change de nom et se fera désormais appeler Saccard. Son instinct lui dit que les importants travaux à venir vont lui ouvrir les portes de la richesse. Tel un prédateur, il se tapie, observe, patiente, prêt à agir dès qu’une occasion se présentera. De santé fragile, Angèle décède ; Maxime est envoyé en province. Saccard peut libérer le spéculateur qui est en lui. Un remariage arrangé lui assure une confortable mise de fonds. La main mise sur les plans de la restructuration parisienne orchestrée par Haussmann et l’embauche d’un prête-nom peu scrupuleux vont permettre l’ascension tant rêvée.

Second roman des Rougon-Macquart d’Émile Zola, La Curée (1871) suit deux axes complémentaires : les excès de la spéculation à la faveur des ambitions impériales et l’itinéraire sentimental de Renée, seconde épouse de Saccard, délaissée, qui vivra une passion avec Maxime, son beau-fils, sur fond d’interdit et de sensualité torride. Zola peint une société aux inégalités scandaleuses et flagrantes, à la classe dirigeante corrompue, dans laquelle l’individu a de plus en plus de difficultés à trouver une place.

Il n’a pas échappé à Cédric Simon (scénario) et Éric Stalner (scénario et dessin) l’actualité de ce récit et la pertinence d’en réaliser une adaptation. Le postulat est d’être fidèle à l’œuvre originale, d’en simplifier le propos, mais sans faire l’économie de décrire, sans aucune lourdeur, la mécanique administrative et financière permettant à Saccard d’escroquer l’État. On retrouve ainsi les scènes enflammées du restaurant de la butte Montmartre, des bals donnés dans les hôtels particuliers, de la serre ou du fiacre, à l'érotisme subtil. Les auteurs ont bien saisi la richesse de Renée, certainement une des héroïnes les plus touchantes de la littérature française, et pourtant méconnue.

Le traitement graphique est à la hauteur de l’ambition artistique. Éric Stalner (Vito, La Liste 66) brosse un 19è siècle crédible et précis, mais sans détails surnuméraires, qu’il s’agisse de l’architecture extérieure, de la décoration intérieure ou des vêtements et accessoires des protagonistes. Le travail de la couleur est particulièrement soigné, avec une unité ou une dominante pour une situation donnée, renforçant la mise en place d’atmosphères variées mais fortes. Les personnages sont donnés dans toute leur folie, leur naïveté, leur vice ou leur désir. Quelques dessins de pleines pages achèvent l’enchantement du regard et l’immersion dans l’élégance pervertie du Second Empire.

Le défi était audacieux, les pièges nombreux, mais le pari est réussi. La Curée peut se lire comme la trame d'un amour impossible, une peinture du capitalisme amoral, un épisode de l’histoire de la Ville lumière ou une possible redécouverte d’un roman majeur et transgressif.

Moyenne des chroniqueurs
7.0