Peau de Mille Bêtes

I l était une fois... dans une forêt sombre et mystérieuse, le Roi Lucane, seigneur des insectes et des animaux, puissant, immortel, arrogant et perfide mais... seul.

Stéphane Fert est de cette nouvelle génération d'auteurs qui apprend vite. À l'image d'un Jeremy Moreau (Le singe d'Hartlepool, La saga de Grimr) ou de Timothé Le Boucher (Ces jours qui disparaissent, Le Patient), il ne lui a pas fallu plus de deux albums avant de se lancer seul en proposant un titre de haut vol. Dans un univers qu'il maîtrise depuis son Morgane (avec Simon Kansara) et après s'être offert une incursion délirante et réussie dans le segment jeunesse avec Quand le cirque est venu (sur un scénario de Wilfrid Lupano), le palois pose un jalon de plus avec son Peau de mille bêtes, réinterprétation toute personnelle de Toutes-Fourrures (Allerleirauh) des frères Grimm. Un conte noir et beau. Cruel et tendre. Dramatique et drôle. Rien que ça.

Le risque d'une redite, après le succès mérité de la relecture de la vie de Morgane était élevé, Pourtant, dès les premières vignettes, le doute est dissipé. Pas dans la mise en page, à nouveau essentiellement en trois ou quatre bandes, ni dans l'habile mariage des techniques traditionnelles-informatiques avec l'utilisation de brosses aux tons bleutés et violets, mais dans l'aisance du trait et le naturel du ton. Le premier est plus net, plus précis. Le changement de format rend d'ailleurs hommage à cette évolution. Les cases, plus grandes, permettent d'apprécier ce gain d'assurance. La forme, elle, opère une mue savoureuse, entre le pittoresque des personnages et leur impertinence, dans les dialogues et répliques. Une narration plus légère en somme qui permet de jongler avec des thèmes lourds et des actes durs dans des ambiances définitivement sombres. Tous les essentiels du conte sont convoqués ; une princesse, une sorci.. euh une fée, un prince, des monstres et des chevaliers. Des péripéties, évidemment, des détours, des royaumes, des épreuves et une fin tragique... un peu... Au final, une histoire joliment immorale et finement féministe aux différents niveaux de lecture où chacun pourra y trouver son bonheur.

Premier album en tant qu'auteur complet, ce Peau de mille bêtes démontre que Stéphane Fert progresse à chaque nouvelle parution et assoie définitivement le style d'un artiste à part. Vivement le prochain projet, pour voir s'il parvient avec autant de talent à changer de registre, à se renouveler, à inventer, à simplement distraire avec autant de poésie.
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