Jérôme Moucherot (Les Aventures de) 6. Une quête intérieure tout en extérieur,…

« Je me pense donc je deviens ce que je pense. »
Un matin en apparence comme les autres, Jérôme Moucherot discute avec son reflet, lequel lui annonce que son visage s’est effacé. Quelques coups de crayon suffisent à réparer l’erreur. Les choses ne s’avèrent cependant pas si simples ; au cours de l’opération, le héros s’est prêté à un va-et-vient des deux côtés du miroir. A tel point qu’il ne sait plus trop qui est l’original et qui est le double. Une quête intérieure tout en extérieur, histoire de ne pas salir chez soi s’impose donc. Le vendeur d’assurances entreprend alors un long périple qui l’amènera des profondeurs du nombril aux temps préhistoriques, en passant par le néant et les jungles improbables. Il affrontera les crocodiles, les souvenirs qui le hantent et même une horde de secrétaires nymphomanes géantes.

François Boucq s’affirme comme un digne héritier de Fred. Dans son univers, onirique et surréaliste, se bousculent les situations absurdes et facétieuses. Sans être franchement drôle, le récit provoque fréquemment le sourire. Le propos n’en demeure pas moins sérieux ; le commis voyageur s’aventure à travers les principales phases d’une dépression : descente aux enfers, introspection et résurrection, avec au passage des clins d’œil à Freud et à des approches contemporaines tels la pensée positive, les « coachs » de vie, de même que la psychologie populaire et ses sens communs. La religion se voit pour sa part incarnée par une dame au tricot (est-ce Dieu ?) chevauchant une araignée mécanique. Au final, l'entreprise se veut avant tout un prétexte pour explorer tous les possibles de la bande dessinée. Le scénario se
montre parfois décousu, mais tout de même, quelle créativité !

Les illustrations sont à l’avenant. Dès la couverture, l’artiste présente un pastiche de René Magritte où le paladin, bien qu'il soit invisible, est aisément reconnaissable à ses attributs vestimentaires, lesquels flottent dans le vide, avec, à l’arrière-plan, un ciel bleu parsemé de nuages, comme les représentait le peintre belge. Et c’est tout, pas même de titre. À l’instar des créateurs de Philémon ou de Julius Corentin Acquefacques, Boucq exploite tout le potentiel de son média. Le personnage bafoue le quatrième mur, s’enfonce dans la page, puis orchestre sa propre renaissance : d’abord un petit cumulus, puis une ombre, un contour davantage affirmé, un dessin en noir et blanc et enfin la couleur. Cette dernière constitue du reste une couche de sens supplémentaire. Alors que les planches illustrant la tourmente adoptent la bichromie, les teintes deviennent plus vives au fur et à mesure que le représentant sort de sa torpeur.

En fin d’album, une série de toiles, peintes à la façon de Pablo Picasso, Giorgio de Chiroco ou Salvador Dali, sont sympathiques, sans pour cela être essentielles au projet.

Quête spirituelle doublée d’une allégorie de la création en général et de celle du neuvième Art en particulier, l’objectif se révèle ambitieux ; comme l’homme a du métier, il s’en tire avec brio.

Moyenne des chroniqueurs
8.0