Druuna Celle qui vient du vent

« Le néant… les ténèbres… la peur… il faut pourtant continuer… s’échapper loin, n’importe où, vers le néant si semblable à ce vide froid qu’on sent en soi, à cette morsure profonde et douloureuse qui empêche de se souvenir. » Ainsi s’ouvre cette aventure de Druuna. La jeune femme quitte un environnement de ténèbres, plonge dans un puits de lumière et se retrouve dans une vaste plaine verdoyante. Cette atmosphère rafraichissante est vite ternie par un cadavre décapité, criblé de flèches, et un chariot détruit, auquel pendent quelques têtes humaines. Druuna va croiser des soldats portant des uniformes de conquistadors, des Amérindiens et une bestiole difforme qui brûle tout ce qui bouge. Elle questionne sans cesse ce monde inconnu, sans pour autant obtenir de réponses.

Dans cet épisode, Druuna continue d’être le jouet des autres (Doc, son mentor, le double de papier de l’auteur, fait son retour) et de forces qui la dépassent. Marionnette ballottée de menaces en dangers, d’un monde à un autre, elle incarne un point de vue naïf, un questionnement candide et une incompréhension chronique. Ainsi en est-il également du lecteur, qui n’a d’autre choix que de suivre les circonvolutions d’une intrigue qui ne dévoile son sens qu’à la toute fin du récit. Il y est question d’une réalité parallèle et de machines programmées pour sauvegarder l’espèce humaine. L’héroïne chemine ici avec un gnome androïde, qui s’humanisera en apparence pour les besoins de l’aventure. Le tandem permet des joutes verbales incisives et l’expression d’un humour qui allège opportunément l’ensemble.

Visuellement, Celle qui vient du vent est un régal pour l’œil. Certes, la plastique dénudée de Druuna est largement exposée. Elle est toujours suggestive et harmonieuse, légitimée par son aspiration à une vie sauvage et libre, proche de l’animalité. Mais le talent de Serpieri s’exprime tout autant avec les grands espaces, les visages masculins et des inventions architecturales. Son trait élégant et son talent de coloriste créent un univers foisonnant, changeant et séduisant. Des visages en gros plans aux perspectives ambitieuses, de l’éclairage cru du soleil à l’obscurité d’un laboratoire retiré, encre et gouache font surgir des personnages à l’identité forte. Il est d’ailleurs à signaler qu’un généreux dossier de trente-six pages propose des esquisses, des croquis et autres planches au stade de l’encrage.

Au-delà de la sensualité de son héroïne et de son amour des grands espaces, Serpieri livre une histoire à l’arrière-plan métaphysique. Il interroge les idées de vérité et de réalité. Il évoque les limites du monde et de la civilisation. C’est la condition humaine qui est au cœur de cette série.

Moyenne des chroniqueurs
7.0