Crossroads

« Je crois que toi et moi, nous sommes perméables à tout ce qu’on voit, à tout ce qu’on entend… »
José Manuel Casañ, une vedette punk espagnole, et Paco Roca, un bédéiste, se croisent lors d’une émission de radio. La complicité est immédiate et les deux hommes décident de travailler à un projet bicéphale : un disque et une bande dessinée suggérant les chansons, lesquels auront pour fil conducteur l’histoire de la musique populaire, de ses racines blues jusqu’au rock, en passant par la rumba, le psychédélisme, le reggae et bien d’autres. L’aventure va bon train pour le musicien, son collaborateur peine cependant à écrire son scénario. Le temps file, les acolytes se rencontrent régulièrement, discutent d’art, de création, de la célébrité et du fonctionnement de leurs industries respectives qui présentent autant de similitudes que de différences. L’entreprise évolue et, plutôt que d’être le miroir du travail du chanteur, l’album deviendra le compte rendu d’une rencontre, laquelle s’apparente aux Ignorants d’Étienne Davodeau.

Au final, le récit ressemble à un documentaire. Le propos se révèle instructif, sans se montrer fondamentalement nouveau. L’insécurité du créateur, la pression du public qui souhaite que ses idoles refassent la même chose sans se répéter, sans oublier le gestionnaire qui a les yeux rivés sur les chiffres de ventes, tout cela a un air de déjà-vu. Cela dit, la franchise des deux gaillards demeure touchante : leur obstination à faire ce qu’ils aiment sans trop de compromis, la résilience du rocker devant le succès déclinant ou le doute, qui est parfois fécond. La proposition renoue néanmoins avec l’idée initiale alors que la narration est entrecoupée de textes interpellant les différents morceaux de La Encrucijada. Ces parenthèses brisent malheureusement le rythme.

Isolées, ces incises sont pourtant réussies. Chacune constitue une petite recherche graphique inspirée de l’époque des courants musicaux pastichés et l’artiste se donne ainsi la possibilité de démontrer toute sa polyvalence. Ce ne sont d’ailleurs pas ses seules explorations : il imite Scott McLoud lorsqu’il se met en scène en train de se représenter dans une bande dessinée et il multiplie les allégories évoquant la déchéance (des pierres dévalent une montagne), l’insuccès (une fusée ne décolle pas), le risque (un gouffre), l’industrie (des engrenages aux allures de microsillons) et les aléas de la vie des troubadours (sur la couverture, des musiciens de tous les styles montent et descendent des escaliers qui s’entrecroisent). Ces audaces tranchent agréablement avec l’ensemble qui est par moment statique.

Un projet intéressant et original ; peut-être l’éditeur aurait-il dû offrir le disque avec l’album afin que le lecteur embrasse pleinement la cohérence de la réalisation du tandem.

Moyenne des chroniqueurs
7.0