Popeye - Un homme à la mer

L es temps sont durs pour Mathurin et ses collègues pêcheurs. Le poisson se fait de plus en plus rare et les petites combines ne suffisent plus pour vivre et pour payer les traites des rafiots. Quand il entend causer d'une vieille carte qui témoigne de la présence d'un trésor oublié au fond de l'océan, d'un seul coup, c'est une éclaircie qui point et peut venir balayer la grisaille persistante de son horizon et celui de sa môme, Olive. Se goinfrer d'épinards périmés, ça va un moment. S'il pouvait au moins y ajouter un peu de beurre...

- Elzie Crisler Segar :«Êtes-vous un marin ?»
- Popeye : «J'ai l'air d'un cow-boy ?»

Qui ne connait pas ou n'a jamais entendu parler de Popeye ? Personne. Entre idées reçues, extraits de dessins animés, brèves planches parcourues à la va vite en fin de magasine, beaucoup sont convaincus de tout savoir sur «Pop eye», surnommé ainsi par son paternel en raison de son œil poché. Antoine Ozanam (Temudjin, Klaw) propose une approche totalement inédite en situant son propos avant qu'il ne fasse la connaissance d'Elzie Crisler Segar, le dessinateur de comics-strip qui a crayonné pour la première fois ses aventures. L'amitié, la solidarité et l'amour sont les principaux sentiments évoqués dans cette genèse, avec une minutieuse présentation de ses origines, de son milieu et de ses conditions d'existence. Le lecteur se laissera embarquer sur son vieux rafiot et se sentira chavirer par une vague d'émotion ressentie face au quotidien précaire et difficile des protagonistes, mais également devant le courage et la profonde sensibilité de ce borgne fort en gueule. Grâce à une quête attractive, le récit complet permet de découvrir différemment les personnages qui gravitent autour du héros et de se baigner dans les eaux tumultueuses d'une Amérique qui n'avait à cette époque aucune compassion envers ses pauvres.

Même pourvue d'une bonne histoire, le sort d'une bande dessinée est bien peu de chose sans un graphisme de qualité. Là aussi le coup de crayon de Lelis (Gueule Noire et Last Bullets) ne déçoit pas. Mieux, dans ces portraits d'existences moroses et rudes, le contraste opéré par des couleurs très claires et nuancées est particulièrement envoûtant. Les cases tout en aquarelles, dont certaines mériteraient amplement l'encadrement, dégagent une puissance d'une rare intensité et viennent caresser les yeux délicatement dans le sens du sourcil. Trogne de loup de mer en demi-cercle, mains calleuses, visage mangé par le sel, chicots à faire déguerpir un décapsuleur de bière, le marin est représenté sous des traits délicieusement laids. Superbe.

Films d'animations, longs métrages, livres, de toutes les nombreuses versions qui ont narré les péripéties du plus célèbre des fumeurs de pipe, L'homme à la mer, plus poétique, regorge d'humanité et présente toutes les qualités pour marquer les esprits.

Moyenne des chroniqueurs
8.0