Retour à Killybegs

T yrone Meehan est sorti, après quatre jours d'interrogatoire mené par ceux qu'il a trahis. Direction la maison de son père à Killybegs, dans le comté de Donegal. Là-bas, il attendra... et aura tout le loisir de rejouer le film de ces vingt-cinq dernières années. Celles qui ont fait de lui un traître à sa cause et aux siens.

Après avoir pris plaisir à adapter Mon traître, de Sorj Chalandon, il était presque naturel que Pierre Alary s'intéresse à son pendant, Retour à Killybegs. Le succès étant au rendez-vous, Rue de Sèvres et le dessinateur de Silas Corey, proposent donc une nouvelle plongée dans les pas du conflit irlandais et sur les traces de son héros déchu, Tyrone Meehan.

Que les fans de la première heure, et les autres, soient rassurés, le défi est relevé encore une fois et avec brio. Si la forme reste similaire, trait semi-réaliste, voix-off et bichromie, le ton est différent. L'auteur colle ainsi parfaitement à l'œuvre originelle. Plus sombre, plus sec, l'album se dévore tout aussi facilement. Le voyeurisme du lecteur, qui cherche à comprendre et à appréhender les choix du héros n'en sont pas les seules raisons. La lisibilité impeccable et la narration au cordeau, entre présent et souvenirs, rend l'immersion totale. Et tant pis si les visages marqués des protagonistes se ressemblent quelque peu, rien ne trouble le déroulé d'un scénario prenant.

Par petites touches, les étapes marquantes de la vie du traître sont présentées, elles enrichissent sa psychologie en apportant des éléments pour mieux saisir l'homme qu'il a été et qu'il est devenu. L'essence de son engagement, les racines de l'amour qu'il porte à sa terre tout autant qu'à Sheila, sa femme, et Jack leur fils. Et ses erreurs évidemment...
Humanisant cette lutte, ses prisonniers, ses victimes, ces séquences apportent une teinte de désespoir qui s'ajoute au désarroi de son entourage avec la révélation de sa faute. Car plus que la surprise et des explications, c'est l'expression et le ressenti du malaise et de la fatalité du sort de Tyrone, qui est contée ici. Avec force, vigueur, tristesse et talent.

Pierre Alary réussit son Retour à Killybegs, qui n'aura comme défaut que de devoir être apprécié avec (après en fait) son album précédent. Il y a pire comme contrainte.

Lire la chronique de Mon traître.

Moyenne des chroniqueurs
7.5