Liaisons Dangereuses - Préliminaires 2. De l'amour et de ses remèdes

C omment Isabelle est-elle devenue la marquise de Merteuil? Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos épiloguent peu sur cette question. Qu’à cela ne tienne, Stéphane Betbeder pallie cette carence. La jolie ingénue est affligée d’un père bon, mais joueur ; il finit par ruiner sa famille, puis perd un duel. Sa veuve, grenouille de bénitier avec peu de caractère, appelle son frère au secours. Ce dernier, qui est tout le contraire de sa sœur, entreprend d’instruire sa nièce aux arts de la manipulation, du mensonge et du contrôle de ses émotions. L’album est d’ailleurs composé d’une quinzaine de chapitres de longueurs très variables, chacun présentant une leçon : Des cadeaux et de leurs symboles, De l’éducation et de ses bénéfices, sans oublier le sulfureux Des hôtes de passage et de leur accueil. L’apprentissage se poursuit alors que l’adolescente épouse un vieillard qui, après l’avoir déflorée un peu brusquement, la pousse dans les bras d’une multitude d’amants.

Dans ce deuxième tome, le scénariste reprend son antépisode du célèbre roman épistolaire. Il faut du culot pour s’attaquer à un tel monument de la littérature, mais l’auteur s’en tire plutôt bien et sa proposition apparaît cohérente avec le texte écrit il y a près de deux cent cinquante ans. Le lecteur découvre comment cette jeune femme gagne en assurance et s’impose comme la parfaite « pré-incarnation » de l’intrigante. Il en fait une icône féministe qui, à l’occasion d’un salon, confronte avec aplomb Voltaire, Diderot, Rousseau et leur compréhension étriquée de la gent féminine. À ses yeux, le Siècle des lumières a sa part d’ombre. La dame a de l’esprit, elle réfléchit, elle est autonome et elle est affranchie des hommes. La chose est tout de même paradoxale puisque ce sont eux (son père, son oncle, son époux et son confesseur) qui l’ont façonnée.

Le dessin de Djief demeure de haut niveau. Le Québécois excelle autant à représenter les jouvencelles à la peau de pêche que les patriarches ridés. Sa reconstitution des lieux et sa représentation des costumes sont par ailleurs impeccables. Alors que l’histoire repose essentiellement sur les dialogues et que les décors affichent une certaine uniformité (une salle de bal ou un jardin du XVIIIe siècle ont forcément des airs de famille), le dessinateur multiplie les angles et varie les plans, créant ainsi un agréable dynamisme. Petit changement pour la mise en couleur, l’artiste a cette fois choisi d’assurer l’ultime étape du projet ; le passage du flambeau entre les coloristes se révèle cependant harmonieux.

Après avoir exploré la jeunesse du vicomte de Valmont dans L’espoir et la vanité, puis celle de sa future complice dans De l’amour et de ses remèdes, la table est mise pour compléter le triptyque qui devrait réunir les deux polissons.

Moyenne des chroniqueurs
7.5