Les fleurs rouges Œuvres 1967-1968

A près quinze ans d'attente - depuis la première édition de L'homme sans talent par Ego comme X en 2004 -, les réserves de Yoshiharu Tsuge concernant la traduction et la diffusion de son œuvre sont levées : la réédition de ce titre phare par Atrabile fin 2018, ouvre le bal d'une reconnaissance de ce mangaka qui a marqué l'histoire de la bande dessinée japonaise.

Cornélius amorce avec Les Fleurs rouges (œuvres 1967-1968) la publication d'une anthologie, annoncée en sept volumes, des différents travaux de Yoshiharu Tsuge. Dans ce premier tome, la plupart du sommaire est issu du magazine Garo, qui concentra dans ses pages la fine fleur des créateurs de gekiga, à savoir un nouveau type de manga, plus mature - même résolument adulte -, plus social et réaliste.

Les histoires de ce recueil permettent d'apprécier la singularité de cet auteur au sein même de ce courant : là où le gekiga est volontiers âpre et urbain, il se fait ici le chantre de traditions encore vivaces dans un arrière-pays quelque peu en retrait, notamment en cette période de bouleversements et de conflits sociaux. La majorité du volume est ainsi composée de nouvelles illustrant tout le charme et la simplicité mais aussi la rudesse de la vie rurale. Le mangaka excelle à mettre en scène anecdotes et souvenirs personnels de voyage, de randonnées en auberges et bains, quoique l’ambiguïté du maître du watakushi manga ("manga du moi") soit toujours présente...

Si Plein soleil se distingue par son décor et sa cruauté, il s'agit également du seul titre non publié dans Garo, et produit du remaniement d'un travail antérieur. Pour le reste, la légèreté et l'incongruité de certaines situations (Veillée funèbre, La famille de M. Lee, Incident au village de Nishibeta, Le pavillon Ondol) le disputent à la mélancolie (Les gorges de Futamata, La cabane de neige de monsieur Ben, Le chien du col). Comment ne pas être saisi par la poésie et la délicate langueur de l'histoire éponyme ? Ou encore par Paysage de bord de mer, récit nostalgique d'une éphémère rencontre ? Comme par la beauté de ces fins en suspens, qui laissent toute latitude à la rêverie et la réflexion : certains épisodes, à première vue simples, peuvent en effet laisser quelque peu perplexe, car empreints de symbolisme et invitant à la relecture.

Enfin, la postface de Léopold Dahan, qui signe également la traduction et l'adaptation – assisté de Jean-Louis Gauthey -, s'avère tout à fait éclairante. Les Fleurs rouges (œuvres 1967-1968) est un magnifique ouvrage pour découvrir le regard unique et la narration novatrice de Yoshiharu Tsuge, qui ravira les curieuses et curieux d'un "autre" Japon. Encore une fois, la démarche de Cornélius est à saluer et les volumes suivants seront attendus avec impatience... Tout comme l'exposition prévue lors du prochain festival international de la bande dessinée d'Angoulême.

Moyenne des chroniqueurs
8.0