Duke (Yves H./Hermann) 3. Je suis une ombre

M organ « Duke » Finch, ancien adjoint du marshal d’Ogden, a passé un contrat avec Mullins, exploitant sans scrupules de la mine d’or qui fait vivre la ville : escorter le transfert de 100 000$ à San Francisco. La diligence a encore les roues dans la poussière du patelin que les premiers imprévus apparaissent : l’arrivée de Swift, représentant de la compagnie propriétaire des fonds, ainsi que celle des frères Briggs qui imposent leur renfort. Méfiance et tension s’installent fermement. Le convoi est attaqué. La situation pourrait être gérable pour Duke, sauf que son propre frère, Clem, fait partie des assaillants. Entre lien familial et engagement à honorer, le pistolero taciturne va devoir jouer serré.

Après deux volumes de fort belle facture, le tandem Hermann (le père, au dessin) et Yves H. (le fils, au scénario) sort le troisième épisode de cette nouvelle série western. Les codes du genre y sont respectés, ce qui n’empêche pas les auteurs d’oser des thématiques inhabituelles ou d’approfondir des motifs le plus souvent esquissés dans cet univers. Ils peignent ainsi le couple qui dysfonctionne, l’amour impossible ou le poids de la famille. À ce titre, Je suis une ombre illustre parfaitement cette articulation entre la tragédie collective et les drames personnels. Duke aspire à une vie tranquille et retirée mais laisse des cadavres dans son sillage. Peg l’attend dans le cocon sordide d’un bordel de campagne. Mildred, qui a recueilli l’orpheline Eleanor et souhaiterait lui redonner goût à la vie, est trahie et délaissée par son mari. Sharp, le marshal, voudrait servir la loi, mais sa lâcheté lui fait fermer les yeux la plupart du temps.

Néanmoins, tous ces personnages sont constamment amenés à sortir de la torpeur de leurs rêves ou de leurs faiblesses. Vengeances, cupidité, menaces et trahisons les entraînent dans un tourbillon constitué de départs, de retours, de renoncements et d’insécurité. Le récit n’épargne aucune violence aux protagonistes, exacerbant les aléas de la vie en épisodes et destins tragiques.

Graphiquement, Hermann continue d’enchanter. Même si l’œil attentif détectera ici ou là une disproportion ou une perspective maladroite, le dessinateur octogénaire excelle toujours à croquer de vraies sales gueules, à rendre tangibles des atmosphères et suggérer le vertige des grands espaces. Le découpage propose judicieusement des cases sans contenu narratif, dédiées aux paysages arides ou foisonnants, diurnes ou nocturnes, plats ou montagneux. L’artiste se fait plaisir et séduit par ses lavis célestes, son encrage discret et sa mise en couleur subtile. Malgré une histoire alourdie de poncifs et de raccourcis parfois expédiés, le ravissement visuel autorise à tenir cet album en estime.

Moyenne des chroniqueurs
6.0