Terre de feu, feux follets

F in du XIXe siècle. Antoine est embauché dans une ferme en Patagonie où il se rend avec son épouse. L’homme se montre jaloux, violent, ivrogne et il déteste les Amérindiens. Il a tout de même une qualité : il peint de belles aquarelles. Lors de l’arrivée des conjoints, l’employeur suggère à Maria de ne pas rester dans ce pays où les femmes n’ont pas leur place. La vie est sévère dans cette bourgade où les ouvriers castrent les moutons avec leurs dents. Puis il y a cette bête qui s’attaque au bétail. Ce ne peut-être un ours, un loup ou un puma, ces animaux tuent pour se nourrir, pas simplement pour faire le mal. Loin de tout, le couple, déjà fragile, est mis à rude épreuve.

Au premier abord, Fred Bernard dépeint un triangle amoureux, un canevas somme toute classique. S’ajoute une rivalité raciale ; les blancs ont exterminé les autochtones, c’est du moins ce qu’ils croient. Il y a également le propriétaire des lieux, lequel tire les ficelles et cherche à protéger le tandem ; des autres, mais surtout de son autodestruction. Le récit propose un huis clos au milieu des grands espaces, là où les échos de lointains drames familiaux refusent de se taire, là où les tensions intercommunautaires et la lutte des classes persistent. Bien que le propos soit riche, l’auteur arrive à en extraire un scénario minimaliste, mais puissant, où tout n’a pas besoin d’être dit. Il n’hésite d’ailleurs pas à se faire discret pour laisser s’exprimer son complice Eddy Vaccaro.

Les illustrations de ce dernier sont très réussies, notamment les panoramas qui traduisent toute la beauté de l’extrême sud de l’Amérique. Une magnificence anguleuse exprimée par des coups de crayon autoritaires. Dans cet univers, les jours, les paysages et les cases se suivent et se ressemblent, deux dessins pleine page sont du reste quasi identiques… même les oiseaux ne bougent pas. Les images, un peu naïves, contrastent avec le réalisme des situations. Cela dit, loin d’être dérangeant, il renforce l’impression que les personnages sont des marionnettes plus ou moins maîtres de leur destin. Mentionnons enfin l’exceptionnel travail de mise en couleur d’Anne-Claire Jouvray qui se mêle habilement au fusain de l’artiste.

Une première collaboration convaincante entre deux bédéistes qui semblent partager une même sensibilité artistique.

Moyenne des chroniqueurs
7.0