Le frère de Göring 1. L'ogre et le chevalier

L e 9 mai 1945, Albert Göring se constitue prisonnier. De quoi est-il coupable? De peu de choses, sinon d’être le frère d’Hermann, un des plus hauts dignitaires du régime nazi. Commence alors un long interrogatoire au travers duquel se dessinent les contours d’une étrange fratrie. L’un se montre avide de gloire et de pouvoir, l’autre pas. L’un voue une solide haine aux Juifs, l’autre se sert de son patronyme pour les aider à s’enfuir. En somme, comme l’indique le titre de l’album, l’un est un ogre et l’autre un chevalier. Alors que tout les oppose, les deux gaillards sont pourtant liés.

Le scénario d’Arnaud Le Gouëfflec prend la forme d’une confession, une stratégie narrative efficace qui permet de distiller l’information par petites doses. L’ouvrage couvre une vaste période allant de l’enfance des gamins, dans les années 1890, à la fin de la guerre. Le récit change d’ailleurs constamment d’époque, sans pour cela entacher la lisibilité du projet. Il présente un personnage méconnu, mais surtout, il apporte un éclairage différent sur un sombre individu. Dans cette bande dessinée, il n’y a pas de camps de la mort, d’habits rayés et de visages émaciés ; le conflit se veut propre, urbain et en retrait des combats. Ce point de vue est probablement assez proche de celui des officiers, loin du front et des stalags. Le lecteur ne voit pas le salaud se salir les mains, il est de fait presque humanisé (après tout, il aime sa femme et sa fille). Peut-être pas au point d’être sympathique, suffisamment pour susciter néanmoins une certaine compassion.

Steven Lejeune illustre joliment cette histoire. Sa reconstitution est réussie, les acteurs justes et les cadrages variés. L’abondance de plans aériens ou en plongée crée un bel effet ; ils correspondent à la position du biographe qui a une vue d’ensemble sur les gens et les situations, un peu comme s’il les dominait. La composition des pages se révèle dynamique et diversifiée ; au-delà des vignettes, l’artiste inscrit des cases dans les cases, souvent sous la forme de photos ou d’extraits de magazines qui complètent le discours. En ayant essentiellement recours aux demi-teintes, Roberto Burgazzoli Cabrera propose pour sa part une mise en couleurs convenue pour une chronique historique. Cela dit, le résultat est agréable.

Présenter un portrait nuancé d’un homme perçu comme l’incarnation du Mal est un pari risqué. Les auteurs relèvent le défi de jolie façon.

Moyenne des chroniqueurs
7.0