Bolchoi Arena 1. Caelum incognito

D ans l'internet de demain, les gens enfilent leur combinaison et leur casque et vont faire un tour sur la planète de leur choix. Pourquoi ? Pour y faire ce qu'ils veulent bien sûr ! Des combats dantesques sur Terre, découvrir la terraformation de Mars ou faire une course de vaisseaux sur les anneaux de Saturne, tout est possible, à condition de respecter les règles et ne se mettre aucune des richissimes compagnies à dos. Et tandis que Dana s'amuse ou exploite les richesses de chaque recoin, Marjorie, qui découvre le Bolchoï (le nom de cet endroit), en profite pour voir en « vrai » le sujet de sa thèse, Titan. Mais à trop se plonger dans ce monde virtuel, l'étudiante en astronomie se découvre certains dons et en oublierait ses priorités...

Que les esprits chagrins rangent leurs fourches et leurs commentaires, Boulet n'a pas l’habitude de surfer sur les modes. Passionné de science (il codirige la collection Octopuss avec Marion Amirganian chez Delcourt), l'auteur des Notes gardait dans ses tiroirs cette idée de science-fiction depuis quelques temps déjà et avait même lâché des infos ici ou là dès 2016. Et tant pis si entre-temps Spielberg et son adaptation du « roman-hommage-mise en abîme » à succès d'Ernest Cline a envahi les salles obscures, car Bolchoi Arena (certainement une référence à la simulation cosmique) s'en éloigne rapidement. Chacun pourra y voir des emprunts aux jeux vidéos (le respawn, le mining) ou de rôles, à la culture geek (les cosplay) ou au 7ème art (Matrix), mais le scénariste construit un monde futuriste propre où un univers parallèle foisonnant est accessible à tous. En plaçant le lecteur dans les pas de son héroïne, il lui fait vivre la même découverte et, en délivrant par bribes le mode de fonctionnement de son arène, entretient le mystère. L'intrigue ne se joue pas uniquement dans l'espace (virtuel), elle s'appuie également sur un Paris futuriste dans lequel les préoccupations classiques des jeunes gens sont présentes : l'amour, l'amitié, la fac... Tous ces éléments donnent du corps à l'histoire et rendent les personnages et leurs interactions cohérents.

Pour accompagner les allers-retours entre les deux mondes, Aseyn laisse libre court à son imagination. Il propose des morphologies différentes (et parfois délirantes) pour marquer chaque réalité. Le dessinateur de Nungesser se révèle également très à son aise dans les séquences spatiales. Que ce soit pour les vaisseaux ou les combinaisons, ou encore les combats, il offre une mise en scène travaillée et efficace. Son dessin peut s'avérer déroutant, entre une colorisation pastel et un trait fin aux contours souvent à peine esquissés, il garde toutefois une lisibilité et une belle constance tout au long des cent soixante-sept planches. Jouant sur le rythme et la temporalité, autant par le découpage que les rebondissements, les auteurs cadencent parfaitement leur récit et accrochent dès les premières pages de ce premier tome. Une grosse introduction, donc, pour une série annoncée en trois tomes (au moins) qui impose son style tant graphique que narratif.

Entrée en matière plus que convaincante, Caelum incognito surprend et emballe. Le tandem Boulet-Aseyn fait mouche avec un titre qui, même s'il semble dans l'air du temps de la science-fiction, possède une identité propre suffisamment intéressante pour espérer la naissance d'une saga prenante et divertissante. Prêt à embarquer pour les prochains actes ?

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