Les passagers du vent 8. Le Sang des cerises - Livre 1…

K lervi Stephan, adolescente bretonne, arrive à Paris en février 1885. Sur le chemin qui la mène de la gare à Montmartre, où l’attendent ses employeurs, elle croise les obsèques de Jules Vallès, le communard et défenseur intransigeant du peuple. Là, Klervi fait la connaissance de Clara et du docteur Lukaz. Seule, ne parlant pas le français, elle rejoint, pour y être servante, l’adresse qui lui a été donnée, en longeant l’immense chantier du futur Sacré-Cœur. Trois ans plus tard, Clara retrouve Klervi par hasard, la tire des mains d’un souteneur et l’accueille chez elle.

Ainsi commence un récit qui prend pour cadre Montmartre en pleine mutation (la butte est encore couverte de modestes demeures et de petits jardins particuliers), accueillant déjà une foule d’artistes. C’est aussi le développement lent et patient d’une relation entre deux femmes, différentes par leur âge et leurs expériences. Klervi, après une vie étroite dans les champs de Bretagne a brutalement découvert la violence des villes et des hommes ; Clara, quant à elle, laisse percevoir une existence riche d’engagements et de drames, mais qu’elle refuse de livrer.

On ne présente plus François Bourgeon, dont les séries ont marqué les quarante dernières années de l’histoire de la bande dessinée. Les Compagnons du crépuscule illustrent un Moyen-âge fantaisiste et réaliste. Le Cycle de Cyann est un planet opera bien éloigné des préoccupations terrestres. Les Passagers du vent, quant à eux, prennent racine dans le 18è siècle de la traite négrière. Ce premier tome du Temps des cerises en est le huitième volume. Son titre est celui de la célèbre chanson écrite en 1868, qui résonne tout au long de l’ouvrage, portant la tragédie de la Commune, notamment celle de la semaine sanglante de mai 1871.

La scène politique du 19è siècle est une des nombreuses entrées de la nouvelle publication de Bourgeon, non par un discours simpliste et moralisateur, mais par la mise en scène de personnages qui se sont engagés, qui réfléchissent à leurs choix, qui doutent parfois et font éclore, dans la douleur et l’incertitude, leur conscience citoyenne et leur féminisme naissant. C’est aussi la peinture d’une époque où la violence pouvait surgir de nulle part et dans laquelle le crime et la misère, sous toutes leurs formes, pouvaient s'inviter chaque jour.

Le Temps des Cerises est aussi un livre d’histoire, celle de Paris, de ses diverses architectures, monuments d’État ou bâtisses prolétaires, de ses habitants croqués dans leur quotidien et des langues parlées. Celle de Klervi et l’argot de Montmartre sont rendus dans leur exactitude linguistique. Graphiquement, le trait de Bourgeon est inchangé, mêlant précision, réalisme et élégance. La minutie légendaire de l’artiste s’applique aussi bien à l’écriture scénaristique subtile et équilibrée, au découpage inventif, à la construction des personnages qui se dévoilent patiemment qu’à la séduction de l’œil, particulièrement dans des pleines pages irrésistibles.

Ce premier pan du Temps des cerises est à la hauteur de l’œuvre exigeante composée par Bourgeon. Le charme opère dès la première case et emporte le lecteur dans un mélange délicat de culture, d’intelligence et de sensibilité. L’attente a été longue depuis La petite fille Bois-Caïman (2009 et 2010) mais elle est pleinement justifiée.

Moyenne des chroniqueurs
8.3