Edmond (Chemineau) Edmond

E n 1897, tandis que Feydeau et Courteline triomphent, Edmond Rostand s'entête à écrire des pièces en alexandrins qui se révèlent être des « fours ». Comment cet auteur, en plein doute, va réussir à créer Cyrano de Bergerac, une œuvre qui traversera les siècles pour devenir l'un des symboles de la littérature française ?

Les turpitudes de la création ont cela d'étrange que la pièce d'Alexis Michalik, a d'abord été pensée pour les salles obscures. Faute de financement, c'est au théâtre que la comédie du jeune metteur en scène rencontrera le succès populaire et critique (cinq Molière en 2017). Mais avant d'être finalement portée sur le grand écran, Léonard Chemineau lui offre un détour par le neuvième art.

Le défi était grand, tant Edmond (la pièce) repose sur le nombre d'acteurs, leurs jeux, leurs verves et la mise en scène, pourtant, le dessinateur de Julio Popper : Le dernier roi de Terre de Feu parvient à proposer un récit tout à fait dans l'esprit, à la fois hommage au dramaturge et comédie d'époque ébouriffante. Pour sa seconde adaptation (il avait déjà officié sur Les amis de Pancho Villa) l'auteur fait preuve d'une grande maîtrise narrative. Son intrigue s'installe d'abord lentement, le temps que la pression inhérente au défi que représente cette entreprise se découvre. Puis, rapidement, les événements s'enchaînent et l'histoire prend son envol, tourbillonne pour littéralement exploser le soir de la première représentation. Cette frénésie grandissante est parfaitement mise en valeur par un trait, savant dosage de réalisme et de caricature, qui illumine chaque planche. Autour du personnage principal, se croisent et virevoltent des seconds rôles enthousiasmants qui s'escriment à monter ce Cyrano. De Rosemonde, la femme aimante qui doute du génie et de la fidélité de son mari, à Léonidas l'ami coureur qui tombe amoureux, en passant par Constant Coquelin, l'acteur fort en gueule qui rêve d'un retour à la Comédie Française ou Honoré, le cafetier noir philosophe, tous jouent leur partition à merveille. L'alchimie est au rendez-vous et l'humour omniprésent, dans les expressions, les bulles ou les situations, et tant pis si certains gags (la récurrence des interventions des financiers corses) auraient mérité plus de légèreté.

En couleurs directes, cette fresque émerveille, les décors sont soignés, les costumes détaillés et le faste des lieux parfaitement restitué. L'artiste n'économise pas son talent et déploie une mise en page vivante (la tirade de Cyrano-Constant vaut le détour), appuyé par des protagonistes haut en couleurs et des dialogues succulents. À l'image de son héros qui se débat entre ses problèmes d'inspiration, les contraintes de création, les caprices des uns, les doléances des autres et les impondérables, l'auteur joue les funambules avec sa trame, ni tout à fait vaudeville ni vérité historique. Les pages défilent avec gourmandise jusqu'au dénouement de cette farandole pétillante.

Edmond est un pari réussi. Léonard Chemineau, accompagné d'Alexis Michalik, livre une histoire enlevée, réjouissante et romancée sur la genèse d'un des fleurons du théâtre français. De quoi donner l'envie d'en apprendre plus sur Edmond Rostand ou d'aller voir sa version sur les planches en attendant le film.

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Moyenne des chroniqueurs
7.7