Clivages 1. Lignes de front

P ernissi est une petite ville que la guerre civile avait jusqu'à présent épargnée. Mais aujourd'hui, les forces armées du pays sont à ses portes pour poursuivre et combattre les patriotes rebelles considérés par le gouvernement comme des traîtres. Médecin et membre du conseil municipal de cette commune, Juliana Brovic, dans un rôle improvisé de médiateur, va se battre de toutes ses forces pour que la cohabitation soit possible et qu'elle perdure dans un climat de paix. Mais, incapable de maîtriser tous les paramètres, la situation va vite lui échapper.

À l'image des violents heurts qui ont déchiré l'ex-Yougoslavie dans les années 90, des événements dramatiques qui ont secoué l'Ukraine ou plus récemment ceux à l'origine de la chute de la Syrie, Sylvain Runberg (Hammerfall, Orbital) se penche avec minutie sur un conflit en analysant les rapports qui opposent et divisent les forces légitimistes d'un État vis-à-vis de sa population. Pour que le lecteur puisse s'approprier les lieux et s'identifier au mieux avec les personnages concernés, l'auteur a délibérément choisi de rester vague en n'apportant aucune précision quant à l'endroit où il a choisi de dérouler son action. Grâce à un travail d'investigation poussé que ce soit au contact d'anciennes victimes ou dans les études de documents d'archives, il a pu disséquer et retranscrire les différentes étapes qui conduisent une nation à sa propre déchéance. Mission accomplie, Lignes de fronts permet de suivre explicitement tout ce processus à travers les yeux d'une famille entière et de quelques habitants, qui peu à peu, par la force des choses, entrent en résistance contre un oppresseur interne et de taille. Ce premier volume poignant s'attache à exposer les tensions, les manipulations psychologiques et leurs premières conséquences, au détriment de scènes d'action et de batailles moins nombreuses.

Influence ou simple coïncidence, le dessin de Joan Urgell (Trahie, Dead life) renifle le "Boucq" à plein nez en s'apparentant au graphisme particulier et reconnu de l'auteur de Bouche du diable et de la série Bouncer. Dans un style réaliste, engageant et d'une grande maturité, il illustre le propos du scénariste de la meilleure des façons qui soit en rendant des faciès qui transpirent l'inquiétude et la peur, le tout, sur des décors pour la plupart plus vrais que nature. Les contours appuyés opérés sur ses petits bonhommes apportent un relief très appréciable sur des couleurs qui demeurent sensiblement dans les mêmes tons clairs.

À l'inverse d'un titre très évocateur, Clivages est suffisamment costaud et armé pour rassembler un nombre conséquent de sympathisants.

Moyenne des chroniqueurs
7.0