Nada

I l fut un temps où il n’y avait pas de téléphones portables, où les gens fumaient dans les bars et où il était possible de d'entrer peinard dans un commissariat pour y voler des armes sans craindre d’être filmé par des caméras de surveillance. En 1972, la mode était également à l’enlèvement des diplomates. Un petit groupe, Nada, constitué d’ouvriers et d’intellectuels, sous la direction du terroriste Buenaventura, projette le rapt de l’ambassadeur des États–Unis, Richard Poindexter. Le groupuscule d’amateurs y arrive sans trop de mal, mais il y a des blessés et un policier est tué. Les forces de l’ordre veulent venger leur confrère et les politiques sauver la face. Les milieux gauchistes sont dans la mire des enquêteurs.

Après La princesse de sang et Fatale, Doug Headline adapte Nada, un troisième scénario tiré de l’œuvre de son père, Jean-Baptiste Manchette. Dans cette histoire, tout le monde est paumé, tout le monde boit son whisky sec et tout le monde cherche un sens à sa vie. La narration s’avère littéraire, un peu comme si fiston hésitait à transformer le texte de papa pour véritablement le traduire en bande dessinée. Les excès de détails se révèlent fréquents, notamment pour préciser chaque rue empruntée par les activistes ou présenter le récit méticuleux d’un assaut policier. L’album finit par faire de l’embonpoint ; cela dit, ces (presque) deux cents pages, c’est du tout bon. Il y a certes peu de réels rebondissements et la traque semble trop facile, mais les personnages sont réalistes, l’ensemble se tient et le suspens est au rendez-vous.

Le dessin de Max Cabanes vaut le détour. Vaguement expressionniste, il construit ses visages avec des lignes courtes qui donnent beaucoup de caractère aux faciès. Au milieu de ces mines patibulaires, la jolie Cash, toute en courbes, se détache. Les décors parisiens se montrent par ailleurs impeccables. L’encrage léger laisse toute la place à une exceptionnelle colorisation. Elle apparaît d’abord déconcertante ; certaines vignettes sont sépia, d’autres sont dominées par le bleu, le vert ou le rouge. Le choc des teintes favorise cependant de beaux effets ; permettant entre autres de mettre en évidence la fille de la bande en la représentant en couleur alors que le reste de la case est monochrome. Le temps d’une scène, un acteur à l’avant-plan est dans la lumière (bichromie jaune) et discute avec une personne dans l’ombre (bichromie bleu foncé), un cadre de porte sépare les protagonistes et la juxtaposition fonctionne magnifiquement. Et c’est comme ça tout le long du livre. Un seul bémol, la couverture racoleuse n’est pas dans l'esprit du projet.

Des personnages complexes, une reconstitution convaincante du Paris des années 1970 et un polar très agréable.

Moyenne des chroniqueurs
8.0