Mujirushi, Le signe des rêves 1. Tome 1

D eux traits parallèles, reliés obliquement par des segments à leurs extrémités et une autre paire à l’intérieur. Tel est le signe mystérieux suivi obstinément par Takashi Kamoda, gérant en faillite et largué par sa femme, malgré les doutes de sa fillette. Au détour des ruelles tokyoïtes, le duo arrive devant un immeuble délabré où ils font la connaissance d’un personnage pittoresque. Alors que Kasumi reste perplexe face à ce « directeur » autoproclamé, son père en boit les paroles. Voilà que se déploie le mirage de Paris, du Louvre, d’un tableau connu, de sa copie et d’une drôle de pierre portant une marque étrange. Et, à la clé, un voyage… Arnaque ou pas, tout cela fleure les soucis.

Couverture cartonnée rigide, papier de qualité, premières planches en couleur, Mujirushi. Le signe des rêves a bénéficié d’un travail éditorial soigné de la part de Futuropolis. Le diptyque de Naoki Urasawa (Monster, 20th Century Boys, Billy Bat) rejoint les rangs de la collection consacrée à l’un des plus grands musées au monde et y retrouve les œuvres que d’autres mangakas renommés (Jiro Taniguchi avec Les gardiens du Louvre ou encore Hirohiko Araki avec Rohan au Louvre) ont consacré à ce lieu légendaire.

S’appropriant totalement le sujet, l’artiste livre une de ces histoires dont il a le secret, à la fois mystérieuse et marquée par un humour mordant. Dès le début, il crée une atmosphère singulière et campe les principaux protagonistes : le loser, crédule absolu, sa fille dotée de sagesse malgré son âge tendre et l’énigmatique « Monsieur le directeur ». Ce dernier rappelle en fait une figure bien connue des Japonais, Iyami, amusant escroc francophile créé par Fujio Akatuska. À lui seul, le dandy assure le spectacle à coups de poses théâtrales et de tics langagiers. Les « Frââânce », « pardi » et « sans façon » ponctuent chacune de ses répliques et en deviennent horripilants. Mais cela participe pleinement à l’excentricité du personnage et joue sur la corde comique. D’autres jolies trouvailles, pleines de piquant, s’y ajoutent, telle l’intervention d’une madame Bardot ou l’évocation d’une Berverley Duncan, très convaincant ersatz féminin d'un président états-unien…

Outre cette galerie haute en couleur, Urasawa livre aussi sa vision du Louvre et de ses trésors. Il le met minutieusement en scène, imaginant une fable rocambolesque pour expliquer la construction de la pyramide centrale (devinez quel esthète nippon a susurré l’idée à Mitterrand…), entraînant le lecteur dans les couloirs officiels où se succèdent les œuvres d’art, aussi bien que dans les passages sombres accessibles seulement aux employés et au service de sécurité. Progressivement, l’intrigue prend son envol, au propre comme au figuré, tandis que de nouvelles rencontres se nouent et les questions continuer d’affluer à la fin du premier volet. Enfin, graphiquement, le lecteur retrouve la patte du maître. Son trait est vif et expressif, ses cadrages et perspectives sont variés, et ses décors précis rendent justice à la Ville Lumière et au fleuron qu’est son plus grand musée.

Avec son ton décalé qui fait sourire, Mujirushi. Le signe des rêves constitue une lecture divertissante.

Moyenne des chroniqueurs
5.5