Lapa la nuit

O ubliez Ipanema et Copacabana, les beaux quartiers et leurs plages bondées. Ne pensez pas à Cidade de Deus ou Rochinha, leurs trafics et les patrouilles militaires. À Rio, la nuit, les gens de tous âges se croisent à Lapa, au pied de l'escalier Selarón et de ses arches, un ancien aqueduc. Un endroit où ce soir-là, la seule préoccupation de Fabio, Joanna, Cacique et Erika, est de passer un bon moment à faire la fête.

Loin de l'image d'Épinal que Rio véhicule, Nicolaï Pinheiro entraîne les lecteurs dans les ruelles de Lapa, quartier bohème et animé où la jeunesse vient s'enivrer, danser, chanter ou flâner. S'appuyant sur un trait caractéristique, mêlant réalisme et exagération de certaines expressions, l'artiste franco-brésilien peint des scènes aux couleurs chaudes. L'ambiance étouffante et moite des rues, des bars, des couloirs d'hôtels accompagne la plupart des scènes. Une chaleur qui se retrouve également dans les corps et leurs représentations ; l'une des préoccupations récurrentes des personnages est de s'éclater au lit, le temps d'une nuit ou de quelques heures. Qu'il soit riche, pauvre, jeune, vieux, beau ou pas, touriste ou de n'importe quel quartier de la ville, celui ou celle qui vient ou travaille à Lapa y songe, une fois le soleil couché. La faute à cette atmosphère festive, où la température monte à mesure que l'heure avance et que l'ivresse autant que la convivialité gagnent.

Car à côté des symboles parfois un peu trop présents (les telenovelas), l'artiste invite à découvrir les camelôs (vendeurs ambulants) nocturnes qui troquent les glaces et les petits plats contre des boissons à emporter. Notamment les fameux batidas qui permettent de se griser avant d'aller tenter sa chance auprès de l'autre ou se défouler sur la piste ; des cocktails (à base de cachaça) achetés au verre, pour être bus, seul ou en groupe, en déambulant dans la foule. Construit comme un véritable récit choral, l'intrigue permet de suivre un groupe de jeunes gens aux origines diverses et ainsi brosser un autre portrait d'une métropole souvent réduite à ses plages, au foot ou à son carnaval. Sagement découpé, le récit alterne les séquences calmes et les moments de tension. Car l'auteur de La drôle de vie de Bibow Bradley n'élude pas la violence qui règne dans ces ruelles. Sans en rajouter, il distille, par petites touches, l'idée que rester sur ses gardes est indispensable. À travers ses protagonistes et leur psychologie, il compose une savante mosaïque qui fait la part belle à ce carrefour, au cœur de la ville, ses habitants, son architecture et son activité incessante à la limite de la frénésie. Et malgré l'utilisation heureuse de quelques évènements scénaristes, l'histoire grâce à des dialogues bien écrits (la traduction est l'œuvre de Nicolaï Pinheiro lui-même), de cette nuit finalement pas si particulière, se suit avec plaisir.

Loin de la carte postale, Lapa la nuit n'en demeure pas moins une déclaration d'amour à un quartier et ses habitants. Un album qui donne envie de prendre son sac à dos et d'aller voir tout cela de ses yeux, un verre à la main.

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Moyenne des chroniqueurs
6.0