Ys

L a guerre lui a apporté sa plus grande peine et sa plus grande joie. Ayant perdu en mer celle qu'il aimait, le roi Gradlon est inconsolable. Et même si sa bien-aimée lui a laissé une fille, Dahud, qu'il chérit de tout son cœur, le monarque de Cornouailles n'a plus goût à rien. Tandis que l'enfant grandit, lui se désintéresse des affaires de son royaume et tente de soigner sa peine. L'arrivée d'un personnage singulier qui lui prêtera l'oreille tout en soulageant son malheur va marquer le basculement du royaume vers un nouveau culte. Mais concilier sa (nouvelle) foi et ses traditions ancestrales ne sera pas si simple.

Pour son premier album complet, Annaïg s'intéresse à un mythe qui a bercé son enfance, celui de la cité d'Ys. De cette légende, qui a connu plusieurs versions et évolutions jusqu'au XXe siècle, la scénariste en livre une relecture intelligente en revenant aux origines de la naissance de Dahud et s'attache à décrire la transition entre, d'un côté, le polythéisme celte et, de l'autre, le christianisme.

Teintant son intrigue de magie et de fantastique, notamment via les fées, elle en fait un conte dans la plus pure tradition du genre. Cette ambiance fabuleuse est soulignée par le trait lâché, plus figuratif (les expressions et visages) que réaliste de Loïc Sécheresse et ses tons si particuliers. Les ambiances avec Corentin, souvent plus lourdes, tendues ou graves, s'habillent de sombre. Les séquences festives et celles au bord de l'eau sont peintes aux couleurs vives voire flashy, grouillent de personnages et exhalent une certaine frénésie. Passé au pinceau, le dessinateur ourle les corps et exagère les formes aux contours gras, comme pour mieux accentuer leurs mouvements ou leurs sentiments. L'ensemble, même s'il peut dérouter par son style, garde une fluidité et un dynamisme certain quelque soit le rythme des événements.

C'est par le prisme des choix de Gradlon que la scénariste raconte son histoire. Elle met en avant son désarroi pour expliquer comment, à force d'écoute et de manipulation, l'homme d'église fera chavirer les croyances du roi. Tiraillé d'une part entre son amour pour sa fille et l'esprit libertaire qui a cours sur son territoire et, d'autre part, son mal-être qui vire en une quête de sens, il imposera à son peuple des changements radicaux. Annaïg décortique ainsi la méthode de Corentin (pas encore sanctifié) et celle de ses semblables, pour entrer dans les bonnes grâces du monarque et insinuer le doute. Ces manigances n'ayant au final qu'un seul but, la christianisation des terres et des cœurs par la crainte. Ce tournant se construit en diabolisant la femme : symbole de tentation, rumeurs sur leur sexualité et païennes, toute la rhétorique ecclésiaste est mise en avant. Empreint de féminisme, le récit n'en devient pas pour autant un pamphlet manichéen. Elle résonne avec certaines dérives actuelles et pointe, parfois maladroitement, les excès que provoque la quête de pouvoir, sur les peuples comme les esprits. Le paroxysme de cette démonstration est atteint avec son épilogue, dramatique, qui fera entrer la cité perdue dans la légende tandis que Dahud apparaît comme une victime, (trop) naïve, des hommes et de ses rêves.

Relecture riche et aux thèmes actuels, Ys impose un style qui dénote sans trahir la légende dont il s'inspire.

Moyenne des chroniqueurs
6.0