Rouen par cent chemins différents

E mmanuel vit à Rouen. Il vient de se faire plaquer. Le jour, il occupe un emploi dans une bibliothèque ; la nuit il réalise une bande dessinée autobiographique. Se rendre à son travail est une prouesse quotidienne car il est victime d’un TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif) : ne jamais emprunter deux fois le même itinéraire. Ce sont ces pérégrinations, détours et autres fantaisies pédestres qui sont réunis dans Rouen par cent chemins différents.

Le récit d’Emmanuel Lemaire (Rotterdam un séjour à fleur d’eau) est ainsi tendu entre le paysage urbain rouennais et son personnage. Découpé en vingt-trois courts chapitres, commençant tous par les mêmes rituels (le réveil, la douche, l’habillage et la sortie du domicile), il raconte ses aventures journalières, extraordinaires pour lui, dérisoires pour le reste de l’humanité. Le vieux Rouen et les bords de Seine sont le décor des déambulations d’un héros ordinaire et perturbé, mais au sourire constant et salvateur. Il y croise un ancien collègue retraité accompagné de son teckel, un punk alcoolique sur la voie de la rédemption qui s’est fait grignoter le pied, justement par un teckel, ou une délégation de marins au long cours à la recherche d’un foyer d’accueil. Il y est poursuivi mentalement par une ex dont il ne peut se défaire et d’une passoire, lien symbolique avec son passé.

Chaque page présente une vue du centre-ville de la cité normande, Emmanuel qui marche et fait des rencontres ainsi qu'un texte qui lie entre toutes ces impressions graphiques. Écrit à la première personne, l'ouvrage mélange narration au premier degré, introspection et humour libérateur. Du running gag de la sonnerie du réveil (cris de dinosaures ou cloche du Titanic) à l’autodérision touchant les névroses du héros, le rire donne du sens à l’ensemble et provoque un vrai plaisir de lecture.

Le lecteur accompagne ainsi un individu et quelques dimensions de son existence (la bande dessinée qui avance péniblement, la vacuité de sa vie sociale ou le défi quotidien de son trajet) avec une fluidité qui n’était pas évidente, compte tenu du sujet et du côté répétitif des situations.

L’audace d’un artiste qui se met ainsi en pages («l’autobiographie est une discipline bien dangereuse pour l’ego») et crée l’adhésion à sa routine doit être saluée. Il en est de même pour l’éditeur Warum, qui prend des risques et met en avant des auteurs aussi méconnus que talentueux.

Moyenne des chroniqueurs
7.0