Tout ira bien ma chérie

C ouple aisé vivant à Londres, Alice et James décident d'investir dans un grand appartement en plein Paris pour y passer leurs week-end et les vacances. Cela tombe à pic, car les parents d'Alice, retraités aux faibles revenus, n'arrivent plus vraiment à joindre les deux bouts et le logement est assez spacieux pour leur réserver un espace où s'installer. Mais avec le caractère de Colette, sa maman, la cohabitation va-t-elle être aussi simple ?

Doit-on toujours tout accepter de la part de ses parents (ou plus largement ses proches), même si manifestement leur comportement est déviant ? Dans un « je t'aime, moi non plus » malsain, stressant et effrayant, Hélène Bruller et Jaypee vont s'amuser avec les nerfs de leurs héros autant qu'avec ceux de leurs lecteurs.

L'autrice de J'veux pas vieillir et Starfuckeuse délaisse ses angoisses personnelles sur le temps qui passe pour s'intéresser aux relations nocives à travers cette mère acariâtre et désaxée et l'influence qu'elle exerce sur l'une de ses filles. Sans se départir de son ton féroce (mais rarement méchant), la scénariste force le trait pour mieux pointer les ressorts d'un rapport trouble et l'apathie des témoins. Car Colette présente bien et, pour ses amis et connaissances, s’avère être une maman et une mamie parfaite. Mais dans l'intimité, elle se révèle être une vieille peau qui ferait passer Tatie Danielle pour un bisounours ! Tout doucement, la tension monte, les problèmes s'enchaînent, les petits accrocs succédant aux excuses, c'est une véritable torture psychologique qui se met en place. Égratignant au passage les hommes et leur passivité, du père démuni qui a baissé les bras depuis longtemps au mari compréhensif qui tente d'arrondir les angles sans trop froisser ses beaux-parents, la scénariste appuie sur la solitude de son personnage. Beaucoup de ces scènes apparaissent exagérées au possible alors que les réactions de l'entourage sonnent juste, tout comme les dialogues, directs, sans fard, et particulièrement bien tournés comme souvent avec la créatrice de Hélène Bruller est une vraie salope.

Ce réalisme est souligné par le dessin de Jaypee. Son trait se fait sec et dynamique pour peindre en noir et blanc une existence qui vire au sombre cauchemar. Rehaussée de quelques détails colorés façon pop, comme autant de pulsions de violence ou d'envie de hurler sa colère, ses compositions élégantes participent à l'impression que tout peut basculer d'un moment à l'autre. Sur un regard, un mot, un geste, d'un côté comme de l'autre. C'est d'ailleurs un sentiment qui accompagne tout au long de la lecture, tout est possible et la tension monte à mesure que la culpabilité d'Alice diminue face au malaise que la situation génère. Cette gêne dérangeante qui tend à rendre légitime le fait d'aimer sa mère, malgré ses mensonges et ses excès, sans pour autant supporter au quotidien sa folie ni excuser ses écarts, ses transgressions ou ses attaques.

Angoissant, caricatural et déjanté, Tout ira bien ma chérie oscille entre drame psychologique et satire familiale sans vraiment choisir. Un exercice de style qui sert d'exutoire jouissif auquel il manque toutefois un petit quelque chose pour convaincre pleinement.

Moyenne des chroniqueurs
5.5