Phoolan Devi Phoolan Devi Reine des bandits

À la manière de Julie Rocheleau, Carole Maurel ou Chloé Cruchaudet, Claire Fauvel fait partie de ces autrices dont chaque production marque une évolution. Après l'Égypte et la France, la lauréate du prix jeunesse du FIBD d'Angoulême 2018 (pour son adaptation de La guerre de Catherine, de Julia Billet, parue chez Rue de Sèvres) envoie ses lecteurs au cœur de l'Inde.

Comme elle l'indique en préface, c'est d'abord via son père puis par le roman Moi, Phoolan Devi, reine des bandits (en collaboration avec Marie-Thérèse Cuny) que Claire Fauvel découvre cette figure de l'histoire moderne indienne. Elle livre ici une adaptation libre de ces mémoires, pour le plus grand bonheur des bédéphiles.

Car disons le clairement, la vie de Phoolan est romanesque, dramatique, voire par instants dantesque. Née dans l'une des plus basses castes en Inde, elle va être mariée à onze ans, violée, « divorcée » avant d'être incarcérée. Enlevée à dix-sept ans, elle prendra les armes, d'abord contrainte par ses ravisseurs, puis par conviction, pour se révolter et s'émanciper des hommes et de leurs lois injustes. Au seuil de ses dix-huit ans, la voilà bandit, chef de gang même, constamment sur les routes. Trois ans plus tard, elle atterrira derrière les barreaux, y restera onze années, avant d'être graciée afin d'entrer en politique et finira assassinée à l'aube de ses trente-sept ans. Une féministe avant l'heure, mais surtout une combattante éprise de justice dans un pays où les inégalités sont la base de la société. Une vie de violence et de luttes acharnées.

Pour conter cette histoire forte, l'autrice d'Une saison en Égypte ne sombre ni dans la glorification ni dans la débauche d'effets. Avec beaucoup de pudeur, elle suggère les moments les plus tragiques et parvient par là même à en restituer toute la force. Son dessin, toujours aussi rond et fin, a évolué et c'est par un encrage travaillé qu'elle accentue la puissance des séquences de combats et met en valeur celles plus intimes. Les réflexions de son personnage ne se limitent pas à sa condition de hors-la-loi et questionnent autant son avenir de femme dans une civilisation patriarcale que sur le système même des castes et les disparités qu'il génère. En mettant en avant l'altruisme et la compassion de son héroïne, l'artiste exprime à merveille les raisons de sa popularité, sans pour autant légitimer ses actes. Car Phoolan est devenue et restera une Dacoït. L'influence et la main mise de ces groupes armés dans ces contrées et sur leur peuple sont eux aussi exposés avec justesse, sans filtre ni parti pris ; les brigands ont beau être respectés, voire protégés, ils sont surtout craints et ne se soumettent à aucune autorité sans combattre. Qu'elle ait lieu dans les paysages rocheux ou au beau milieu des villages traversés, chaque scène est habillée d'une colorisation subtile et nuancée, tantôt dans des tons bariolés typiques des saris tantôt dégradée de vert et d'ocre très western ou encore bleuté et noir lors des veillées ou des « coups » nocturnes. Ces changements d'ambiance s’opèrent en toute fluidité et accompagnent l’éventail de sentiments qui saisissent le lecteur tout au long des deux cent vingt-quatre planches d'une qualité constante. Un travail remarquable, qu'il n'est pas facile de lâcher avant d'en avoir lu la conclusion.

En 1994, avec son Bandit Queen, Shekhar Kapur avait offert à Phoolan Devi, Reine des bandits les honneurs du grand écran. En 2018, Claire Fauvel livre sa version de la vie de cette femme au destin hors norme en même temps qu'elle ajoute une perle de plus à sa bibliographie. L'autrice se montre à la hauteur de son sujet en proposant une œuvre forte au graphisme somptueux, pleine de maîtrise.

Moyenne des chroniqueurs
8.0