Du sang sur les mains De l'art subtil des crimes étranges

D ans la ville de Diablerouge, près de la frontière canadienne, l'inspecteur Gould force le respect. Sa méticulosité et son abnégation à traquer les criminels de sa ville font la fierté de sa hiérarchie et l'admiration de ses concitoyens.
Mais la place que prennent ses exploits dans la presse ne risque-t-elle pas de lui attirer quelques inimitiés ?
Et si cette fois, il tombait sur meilleur stratège que lui au point de voir ses certitudes bousculées ?

Monsieur Toussaint Louverture, petite structure éditoriale fondée en 2004, s'offre depuis quelques temps déjà des incursions régulières sur les rayon du neuvième art. Après le bouleversant Alcoolique en 2015 et avant le très attendu Moi, ce que j'aime c'est les monstres fin août , c'est Matt Kindt avec Du sang sur les mains qui vient garnir leur catalogue.

L'auteur américain régulièrement mis en avant du côté de Bliss Comics pour ses récits de super-héros, est aussi reconnu pour ses histoires d'espionnage (Super Spy) ou ses thriller (Dept H). Cette fois, c'est en déclinant le genre polar qu'il exerce ses talents d'auteur complet. Une sorte de récit à tiroirs dans lequel il n'a de cesse de solliciter les méninges de ses lecteurs en même temps que son personnage principal, l'inspecteur Gould, utilise les siennes. Fausses pistes, intrigues multiples ou encore indices livrés au compte-gouttes, Matt Kindt s'amuse à tirer chaque ficelle de l'enquête à énigmes. Le risque de rester à la porte de ce scénario alambiqué existe mais le conteur connaît son affaire et parvient à piquer la curiosité dès les premières pages.

Pour cela, il met en scène une brochette de délits tous plus surprenants les uns et que les autres. À chaque chapitre, un personnage et une affaire au concept singulier, sans violence extrême, hémoglobine ou de quoi titiller la perversité humaine. Pourquoi et comment ces coupables ont-ils basculé dans le crime ? Pourquoi ont-ils tous lieu dans la petite bourgade ? Ont-ils un lien et si oui quel est-il et quel serait l'objectif final ? Ces questions, et bien d'autres, fleurissent et font croître l'intérêt. Cette attention est attisée par l'insertion, ponctuelle mais régulière, d'une conversation à deux, présentée en neuf cases de texte blanc sur fond noir. Un échange qui se révèle être une véritable passe d'armes opposant deux visions du monde, deux philosophies, deux conceptions du Bien et du Mal. L'auteur joue avec les possibilités graphiques du médium et prolonge l'originalité de sa mise en scène avec des planches au découpage académique, habillées du trait caractéristique de l'artiste et d'aquarelles, et entrecoupées d'articles du quotidien local. C'est d'ailleurs par ce biais et à l'aide de séquences type « bleus encrés » que le scénariste construit son héros. Le policier ne prend forme que par ses exploits relatés dans les manchettes de la Gazette et les échanges avec sa moitié. Mais malgré cette construction atypique, il finit par devenir tangible et exister réellement jusqu'à l'épilogue d'un scénario savamment orchestré. Une lecture, à la limite de l'expérimentation littéraire, qui n'est pas sans renvoyer à A.D. After Death de son complice Jeff Lemire (avec Scott Snyder) sorti quelques mois plus tard dans nos contrées.

Nombreux sont les bédéphiles à regretter le peu d'implication des grands éditeurs pour nombre de leurs albums. Il serait dès lors dommage de ne pas profiter du travail d'une maison, modeste mais passionnée, pour mettre à disposition un grand album, œuvre d'un artiste plus surprenant à chaque production.

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Moyenne des chroniqueurs
8.0