Le pouvoir des Innocents (Cycle II - Car l'enfer est ici) 5. 11 septembre

L 'heure du verdict a sonné. Pour Logan et Xu, son épouse, pour Jessica Ruppert et les new-yorkais, mais aussi pour les lecteurs de ce second cycle.

Sept ans (quatre à partir de la nouvelle mouture de ce deuxième acte) après 508 statues souriantes, David Nouhaud (qui ne participe pas à cet album), Laurent Hirn et Luc Brunschwig sont rejoints par Annelise Sauvêtre (aux décors) pour livrer 11 Septembre, conclusion de leur thriller politico-socio-humaniste. Et, autant tuer tout suspense, cela valait le coup d'attendre.

Comme souvent avec le scénariste de La Mémoire dans les poches, la psychologie de ses personnages, très travaillée, est le point fort de sa mécanique. Il sait les rendre attachants en leur prêtant des réactions crédibles, loin des stéréotypes manichéens, et chacun d'eux renferme une part d'ombre. Le cadre possède aussi son importance ; régulièrement critique vis-à-vis des travers de la société moderne, son individualisme et son égocentrisme, le créateur d'Urban, persiste et signe. Surtout, il met en prise sa trame avec l'actualité des dernières décennies, dressant des parallèles (les Whitaker père et fils renvoient forcément aux Bush) ou reprenant à son compte des dérives souvent pointées dans la vie politique (sondages trompeurs, impacts voire manipulations des médias sur l'opinion publique, accointances plus ou moins avérées avec le milieu). Un réalisme froid, que la prestation graphique de Laurent Hirn ne fait que renforcer. Pas de beaux jeunes hommes aux muscles saillants ni de nymphettes aux formes généreuses. Ici chaque ride, chaque sourire, chaque expression respire la véracité, bien aidé par une mise en couleurs sobre aux tons aquarellés. Cette sensation est encore accentuée par les décors d'Annelise Sauvêtre, très propres, et frappants de ressemblance.

En plus de ce contexte, il parvient à maintenir l'intérêt - nouvelle gageure de son talent de conteur - alors que l'essentiel des faits présentés est connu. Pour cela, il raconte le procès, son déroulement évidemment, ainsi que les quelques mois qui le précèdent, en multipliant les trames. Les destins de Cyrus et Adam, Jessica et Lou, Lucy et Domenico, Joshua et Xu, Frazzy et Whitakter se croisent, se rejoignent ou s'influencent. Feuilletonesque par son découpage en six courts chapitres pour autant de mois, la narration ne dilue jamais la tension. Au contraire, en alternant ces sous-intrigues, en jouant sur les cadrages, notamment les zooms avant/arrière sur les visages et les réactions, les auteurs l'accentuent crescendo, jusqu'à la révélation de la sentence. Mieux, ils s'offrent même le luxe de semer les graines des développements à venir - prouvant au passage que les trois parties ont, dès l'origine, été pensées comme un tout - du grand art !

Cette fois pas de happy end, mais encore et toujours une plume qui émeut, remue, secoue pour au final marquer les lecteurs. Vibrer pour des personnages, souffrir ou rire avec eux, ressentir leurs émotions, espérer, se tromper, haïr, compatir, voilà ce qu'une bande dessinée peut proposer pour sortir du lot. Avec Le Pouvoir des innocents, tout cela est réuni, l'alchimie de talents en prime.
Que demander de plus, à part, peut-être, que le troisième cycle arrive rapidement ?

Moyenne des chroniqueurs
8.0