Black Monday Murders 1. Gloire à Mammon

L orsque Daniel Rothschild est découvert mort, dans un appartement de la banque Caïna-Krankin qu'il dirige, l'inspecteur Théodore Dumas est remis dans le bain et hérite de l'affaire. Ses méthodes sont peut-être discutables et son flair laisse ses collègues dubitatif mais les résultats sont là. Et il aura besoin de toute sa ténacité et de ses connaissances, même les plus obscures, pour comprendre ce qui se trame dans les hautes sphères de la finance... Depuis, peut-être, déjà des décennies ou bien plus...

Avec Jonathan Hickman le lecteur est averti : a priori alambiqués et hermétiques, ses scénarios se révèlent habilement construits, denses et fouillés. Si ce titre ne déroge pas à la règle, il se signale par une facilité d'accès qui ne paraît pas évidente pour qui n'irait pas plus loin que les premières pages.

Cette fois, le scénariste de Pax Romana et de East of West s'intéresse à ce qui fait marcher le monde, l'argent : la finance, la loi du marché, le milieu bancaire et ses traders. De quoi aiguiser la curiosité et les fantasmes, surtout qu'il y incorpore pêle-mêle meurtre tendance sacrifice, ésotérisme à inclinaison satanique, théorie du complot... Le tout sur fond d'enquête policière. Il serait aisé de prendre peur et secouer la tête en signe de dénigrement mais l'auteur sait captiver et n'hésite pas à puiser dans l'histoire des éléments pour asseoir les bases de son intrigue. La dynastie Rothschild, la guerre froide, les krach boursiers (au passage qui avait noté que ceux de 1929, de 1987, de 2008 ou encore de 2013 ont eu lieu en octobre, un jeudi ? ). L'artiste enrobe l'ensemble de mythologie qui se découvre par bribes et pique l'intérêt. Que sont La Vigie, L'Administration Ascendante, La Balance, Le Trône de Pierre et quels sont leurs rôles, leurs desseins, à qui obéissent-ils ? Ces interrogations jaillissent au fil des planches mais sans jamais noyer le propos. Patiemment, le créateur de Manhattan Projects tisse sa toile et si son puzzle manque encore de pièces pour saisir la taille de la représentation, il n'en demeure pas moins hypnotique. À cet effet, il ponctue son ouvrage de respirations qui participent à la construction de la trame ; extraits de journal intime, de procès-verbaux caviardés, et de rappels historiques avec force dates et détails ou petits apartés explicatifs, sur une ou deux demies pages. Les plus curieux constateront que Jonathan Hickman ne laisse une fois de plus rien au hasard.

Pour l'aider dans son ambitieuse entreprise, le duo Tomm Coker (dessins) et Michael Garland (couleurs) fait preuve d'une maestria et d'une complémentarité indéniables. Au travail d'encrage du premier répond la gestion des clairs-obscurs du second, aux cadrages et au découpage savamment orchestrés, le choix des teintes et les jeux de lumières qui installent des atmosphères sombres, nébuleuses et suffocantes font écho. Car Black Monday Murders est avant tout un récit d'ambiance. Et le mystère, présent partout, atteint son apogée dans la personnification du Mal par l'argent et le pouvoir qu'il procure. Le cynisme et la prétention dont font preuve les éminences grises qui servent Mammon et dirigent ce monde glacent le sang autant qu'ils fascinent et intriguent.

Ce Gloire à Mammon pourrait apparaître, pour certains, comme une fumeuse théorie du complot de plus mais ceux qui accepteront de plonger dans les méandres de l'imagination des auteurs, éprouveront un plaisir jubilatoire et trépigneront d'impatience de découvrir la suite.

Moyenne des chroniqueurs
8.0