Charogne

I l a le cœur sur la main le Joseph ! À son age, crapahuter dans la montagne escarpée et parcourir ses sentiers longs comme un jour sans pain juste pour rendre service, qu'est ce qu'il ne ferait pas pour ses villageois. Alors qu'il aidait Motus à faucher sa récolte, voilà que le vieux monsieur s'écroule, terrassé par la douleur et trahi par ses artères. Hors de question de l'enterrer sans bénédiction mais, problème : jamais le curé ne fera de service dans l'église délabrée. Solution : amener le cercueil à la Pause des morts, à mi-route de la ville. Entre chemin de croix et calvaire, les porteurs volontaires verront leur dévouement mis à mal, surtout que l'auréole du saint homme aurait laissé dans l'ombre quelques taches honteuses.

Partant de plusieurs anecdotes authentiques, Boris (Lutte majeure), assisté de Benoît Vidal, tisse habilement une intrigue prenant place dans les espaces isolés et frustes des Pyrénées en 1864. L'ambiance âpre est très bien retranscrite dans cette petite communauté rurale, engluée dans ses dissensions lourdes de secrets où les âmes s'accommodent finalement des rancunes des uns et de la méfiance des autres. Le pilier Joseph disparu, l'unité des ouailles se fissure et les griefs s'expriment avec une violence qui fait grincer des dents et se tendre les nerfs. Le suspense monte subtilement et les tensions s'accroissent au fur et à mesure que le cortège descend cahin-caha, sans cesse confronté aux multiples obstacles de la pente et des querelles intestines. La trame scénaristique très bien construite amène les révélations à petites doses pour un coup de théâtre final impeccable, un pur drame de derrière les fagots.

Benoit Vidal donne vie à ce microcosme à l'aide d'un crayonné semi-caricatural habillé de couleurs sépia qui crée le rendu du terroir d’antan. Les visages des habitants taillés à la serpe et aigris par la rudesse de l'existence indiquent déjà leur caractère propre. Les paysages sont soumis à des perspectives accentuées pour donner le vertige et expriment cette glissade dans l'ignominie. L'artiste n'hésite d'ailleurs pas à utiliser le symbolisme de la faune et la flore : les animaux de l'ombre (hiboux et corbeaux) hantent régulièrement les illustrations, comme annonciateurs de mauvais augures, la densité des arbustes génère l'atmosphère étouffante et les cailloux entravant la piste, les problèmes qui s'amoncèlent.

Quand la vérité se pare de sacerdoce pour paraître moins laide : Charogne se révèle une plongée captivante dans la noirceur humaine qui détourne la lumière sans vergogne pour mieux aveugler.

Moyenne des chroniqueurs
6.3