L'obsolescence programmée de nos sentiments

E st-ce qu'il y a un âge pour aimer ou les histoires d'amour aussi sont-elles victimes de l'obsolescence programmée qui touche notre électroménager, nos voitures ou bien encore nos appareils connectés ?

Un nouvel album estampillé Zidrou provoque souvent, sorti de Bécassine ou L'élève Ducobu, le même genre de réaction chez les bédéphiles : un mélange de curiosité et de méfiance. Le prolifique auteur possède cette qualité de ne jamais laisser indifférent. À ses qualités de conteur, profondément humaniste, lui sont souvent reprochés des effets un peu trop appuyés tendance tire larmes. Et autant lever le suspense, ce titre est fait du même bois. Et si des prestations comme Lydie ou plus récemment Les beaux êtes sortent du lot, certaines productions s'avèrent plus anecdotiques.

En choisissant de s'associer à Aimée De Jongh, l'Espagnol d'adoption prouve une nouvelle fois que les collaborations étonnantes, par delà les frontières, ne l'effraient pas. Ensemble, ils explorent les méandres de l'amour à l'aube de la retraite. Alors que d'autres pensent à s'occuper de leur jardin ou des petits-enfants, leurs protagonistes, aux prénoms évocateurs, se croisent, se rencontrent, se plaisent, se séduisent et s'aiment. Dans toute la première partie, le lecteur suit avec plaisir et gourmandise ces existences marquées, éprouvées mais pas lessivées. Et c'est peut-être même avec un sourire envieux qu'il se plonge dans une histoire pleine de tendresse, parfaitement retranscrite par le trait semi réaliste, plein de justesse, de la dessinatrice néerlandaise. Sans fard, elle dépeint les corps en même temps que se livrent les cœurs, avec une facilité, un naturel et une précision qui laissent admiratif. Son dessin raconte bien plus, comme lors des scènes intimes, que certaines phylactères qui s'avèrent par moments redondantes comme évoqué plus haut.

Mais, puisqu'il y en a un, la principale réserve réside dans le point d'inflexion choisi par le scénariste, qui en déroutera plus d'un. S'éloignant de la veine réaliste dans laquelle son récit s'inscrivait, il opte pour une tournure qui surprend - au mieux - et fait basculer la trame dans la fantaisie décalée de manière un peu abrupte. Malgré le travail de sa partenaire, toujours impeccable de finesse et de lisibilité, cet écueil fait naître un sentiment d'incompréhension qui peut nuire à l'immersion.

Réflexion contemporaine sur le temps qui passe et ses affres, joliment illustrée, L'obsolescence programmée des sentiments se meut en une fable qui peine à convaincre pleinement. Dommage pour les terre à terre, pour les autres cela reste l'assurance d'un bon moment de lecture.

Moyenne des chroniqueurs
6.0