Serena

S erena a du caractère. Et elle aime les gens qui en ont. Les autres, elle les écrase. Lorsque la jolie rousse a croisé George, elle a tout de suite compris qu’il était son « âme sœur » et elle l’a suivi sans hésiter sur l’exploitation forestière qu’elle dirige d’une main de fer (dans un gant de crin particulièrement abrasif). La fin justifiant les moyens, elle bouscule ses ouvriers, manipule ses voisins, s’oppose au shérif et résiste aux agents du gouvernement. Il n’y a qu’a son mari qu’elle témoigne un peu de tendresse. Il ne faudrait cependant pas qu’il fasse preuve de faiblesse pour quelque raison que ce soit. Dans une Amérique en pleine crise économique où les emplois s’avèrent difficiles à trouver, rares sont ceux qui osent s’interposer devant cette figure omnipotente.

Adapté du roman de Ron Nash par Anne-Caroline Pandolfo, Serena présente le portrait d’une femme fascinante. Forte, dure, déterminée et insensible, elle tient tête aux hommes, dompte les aigles, extermine les serpents et rase les forêts. Le lecteur s’attendrait à ce que la scénariste adoucisse la diabolique, qu’elle la transforme en mégère apprivoisée, mais c’est tout le contraire. Petit à petit, elle en fait une caractérielle et une criminelle. C’est d’ailleurs ce que raconte un quatuor d’observateurs qui, autour d’un feu de camp, se souviennent des événements et apportent leur éclairage sur certains épisodes. Que le bédéphile se rassure, de nombreuses questions demeurent sans réponses. La rencontre des époux est à peine effleurée, les sentiments qu’ils éprouvent l’un pour l’autre restent troubles et rien n’explique comment l’héroïne est devenue une telle furie.

Bien qu’il adopte un style inachevé, le dessin semi-caricatural de Terkel Risbjerg se révèle agréable et efficace. La protagoniste est convaincante quand elle donne ses ordres et elle l’est tout autant lorsque, nue et vulnérable, elle s’offre à son jules. Le coup de pinceau de l’artiste se situe quelque part entre celui de Brüno (couleurs en aplat, trait gras) et celui de Sfar (composition nerveuse, acteurs aux grands yeux). Les teintes sont habituellement chaudes, souvent foncées ; en fait les pages les plus claires sont celles proposant les éclaircissements apportés par les quatre bûcherons.

Un personnage féminin saisissant, dépeint avec maestria.