Profession du père

D ébut des années 1960, Émile est pré-adolescent. Il vit avec un père intransigeant, hargneux, paranoïaque, violent en paroles et en coups de ceinture. Il se révèle également être un mythomane qui revendique la paternité des Compagnons de la chanson, se prétend champion de football et de judo, mais surtout, il assure qu’il collabore avec l’OAS. Doucement, le manipulateur entraîne son garçon dans son délire. Sa mère, lâche ou impuissante, réagit peu. Il faut dire qu’à l’instar du gamin, elle est brutalement contrôlée par le despote. Profession du père est racontée en mots et en images par Sébastien Gnaedig.

Le propos de cette bande dessinée adaptée du « roman autobiographique » de Sorj Chalandon donne froid dans le dos. L’anecdote est découpée en une série de courtes scènes, autant d’épisodes qui, mis côte à côte, tracent les contours d’un climat familial toxique, sans toutefois se livrer à des excès de pathos. Le lecteur découvre comment un parent fou à lier arrive, à force de sévices, de menaces et de chantage, à manipuler son fils. Il n’y a pas beaucoup de bouffées d’air frais dans les deux cent cinquante pages de cet album. La narration peut même sembler longue et, par moments, répétitive. Toutefois, au final, ce rythme renforce la crédibilité de l’entreprise.

Un peu comme s’il souhaitait respectueusement laisser le plus de place possible au verbe, l’illustrateur évite de trop insister sur les stigmates. Un choix heureux puisque, tout compte fait, dans ce type de drame, ce ne sont pas les ecchymoses qui sont les plus douloureuses. Le dessin en noir et blanc est tout en retenue, les décors apparaissent généralement sommaires et les personnages sont reconnaissables à quelques caractéristiques de base (un nez proéminent, une coupe de cheveux, etc.). Sur le trait simple s’ajoute une agréable trame au fusain.

Mentionnons enfin une jolie idée. Tout au long du livre, le jeune homme trouve du réconfort en crayonnant dans un cahier. Il y a là quelque chose de quasi prémonitoire, alors que le héros, résilient, fera carrière comme restaurateur de peinture, à savoir un artisan qui prend soin de ce qui a été abîmé.

Un récit sombre, adroitement servi par la sobriété des traitements narratif et graphique.

Moyenne des chroniqueurs
7.0