Cinq branches de coton noir

E n mai 1944, les troupes américaines sont stationnées sur le territoire anglais. Le temps passe lentement, entre les opérations de dissimulation, visant à tromper les avions espions allemands, et les tensions internes. Lincoln Bolton, Aaron et Tom, Afro-américains engagés volontaires le lendemain de Pearl Harbour, en font les frais. La ségrégation est à tous les niveaux, de l’organisation de la vie quotidienne à la possibilité de devenir un héros de guerre. Les « niggers » n’ont droit qu’aux tâches subalternes ; il faut être blanc pour aller au combat et récolter les honneurs. Lincoln a une sœur, Johanna, qui étudie l’histoire à Raleigh, Caroline du Nord. Après le décès d’une tante, elle hérite d’une modeste demeure. Elle y trouve un manuscrit datant de 1777. Une certaine Angela Brown y raconte la fabrication du premier étendard américain et du secret qu’il contient. En pleine Seconde Guerre mondiale, il va changer le destin de son frère et de ses amis.

Yves Sente n’est plus à présenter, ainsi que la tenue de ses scénarios. Surtout connu pour ses suites de séries mythiques (Blake et Mortimer, XIII, Thorgal et ses extensions), il a également créé ses propres univers avec les très réussis Janitor (François Boucq au dessin) et La Vengeance du comte Skarbeck (illustré avec brio par Grzegorz Rosinski). Le récit développé offre plusieurs lectures. C’est d’abord une quête prenante, sans laquelle il est difficile de faire un bon album de bande dessinée : ici, le premier exemplaire du drapeau des États-Unis. Ensuite, le scénariste reconstitue, avec un équilibre parfait entre respect des faits et imagination, différentes situations historiques (le débarquement en France, la guerre d’indépendance, le quotidien des familles noires dans les années 40). Enfin, Cinq branches de coton noir est une œuvre engagée sur les questions du racisme et de toutes les humiliations dont l’être humain est capable.

Le graphisme de Steve Cuzor (Blackjack, O’Boys) soutient parfaitement le propos. Favorisant l’émotion au détail de la reconstitution, il sert d’abord les personnages, la situation – souvent tragique – dans laquelle ils se trouvent et leur relation à leur environnement immédiat. Pas de posture héroïque excessive ni d’emphase graphique en carton-pâte, mais une proximité, servie par les gros plans, qui permet l’identification. Le choix qu’une couleur dominante soit attachée à chaque unité narrative renforce l’atmosphère des planches, découpées en strips réguliers ou présentant des pleines pages. Son trait rend aussi bien le froid immobile des forêts ardennaises enneigées que la dynamique d’un bataillon de Panzers écrasant tout sur son passage.

S’il pourrait être reproché à ce one shot d’être trop insistant sur le message véhiculé ou d’afficher trop ses sources culturelles (Monuments Men, Il faut sauver le soldat Ryan, la saga des Benjamin Gates, etc.), ses qualités esthétiques et narratives, tout comme les valeurs qu’il véhicule, en font une lecture hautement conseillée, particulièrement de nos jours.

Moyenne des chroniqueurs
6.8