Cavalerie rouge

J ean-Pierre Pécau adapte Cavalerie rouge, un célèbre recueil de nouvelles publié par Isaac Babel en 1926. Pour cette entreprise, le bédéiste retient quatorze des trente-quatre courts textes écrits par l’écrivain enrôlé comme correspondant de guerre lors de l’affrontement russo-polonais de 1920. Les anecdotes s’attachent au quotidien d’un groupe de militaires à la suite de la défaite de Novograd-Volynsk. Dans les villes comme dans les campagnes, ils découvrent la dévastation et la pauvreté d’un peuple en mode survie. Un peu pillards, un peu observateurs, un peu combattants, les conscrits poursuivent leur chemin dans un monde en proie à une douloureuse transformation.

Le roman graphique prend la forme d’une série d’instantanés qui se suivent sans qu’il y ait de véritable fil conducteur. Les segments étant très brefs, le scénariste relève chaque fois le défi de créer un univers, d’y poser quelques personnages et d’y développer une histoire. Le résultat est forcément inégal ; certaines rencontres se révèlent poignantes, alors que d’autres laissent presque indifférent. Chacune constitue cependant une petite portion d’une vaste fresque. En lieu et place d’un témoignage structuré, logique et cohérent qui expliquerait les tenants et aboutissants du litige, le bédéphile se voit offrir une émotion, une vision impressionniste d’une époque tourmentée.

Djordje Milovic soutient le projet d’un coup de crayon nerveux, vaguement expressionniste, lequel tient davantage du crayonné que d’un dessin abouti. Si les illustrations ne convainquent pas pleinement, il en va tout autrement de ses magnifiques couleurs à l’aquarelle. Dominées par des teintes de marron et de vert, elles exhalent une grande puissance, particulièrement lorsque tranche l’uniforme rouge des engagés. D’un point de vue métaphorique, l’imprécision des contours de la peinture à l’eau correspond bien à ces moments d’incertitude.

Présenté comme le récit d’un conflit, Cavalerie rouge évoque finalement bien peu les faits d’armes ; la chronique s’attarde avant tout sur les gens. Elle témoigne de leur courage et de leur résilience, mais également de leur détermination. En définitive, elle parle de la vie.

Moyenne des chroniqueurs
7.0