The manhattan Projects 1. Pseudo-science

E n 1938, le projet Manhattan a réuni la crème des scientifiques. En quelques années, ils ont conçu la bombe atomique. Ce que les gens ne savent pas, c’est que cet aréopage de chercheurs s’est intéressé à bien d’autres programmes. Pour n’en nommer que quelques-uns : l’exploration de l’espace pandimensionnel, le moteur de divergence, sans oublier l’intelligence artificielle. Au terme de la Deuxième Guerre, le groupe a recruté des centaines d’inventeurs acoquinés au régime nazi, avant de répéter l’opération avec les Soviétiques pendant la guerre froide. Ils ont ensuite créé une sorte de gouvernement fantôme. À l’abri des lois, ils se consacrent à la science en général et à la conquête spatiale en particulier. Rapidement, ils côtoient les civilisations extraterrestres.

La structure de cet album scénarisé par Jonathan Hickman déconcerte le lecteur. Les personnages sont nombreux, les personnalités multiples, les changements d’époques fréquents et les intrigues s’accumulent, se bousculent. Certains épisodes sont ancrés dans la réalité, tandis que d'autres relèvent de la plus haute fantaisie. Le bédéphile ne l’a pas facile et la tentation de décrocher est forte. S’il demeure attentif et s’il persiste, il découvre tout de même certains réseaux de sens et une forme de cohérence émerge de l’ensemble.

Les illustrations à tendance expressionniste de Nick Pitarra demandent elles aussi à être apprivoisées. Le trait vaguement brouillon donne une impression de travail bâclé ; cela dit, au final, le dessin permet de réaliser de jolis monstres et sied assez bien aux acteurs habituellement rébarbatifs. La mise en couleurs de Jordi Bellaire s’avère rebutante tant les teintes sont souvent criardes, fréquemment dans une bicolorisation rouge et bleu plutôt désagréable.

Il est à noter que The Manhattan Projects est la reprise de Projets Manhattan publié en 2013 chez Delcourt, mais Urban Comics a choisi de conserver un titre anglais pour une version française.

L’entreprise, quoiqu’ambitieuse, audacieuse et créative, manque de fini et n’arrive pas tout à fait à séduire.

Un autre avis publié sur BDGest par A. Perroud en 2013 :

Le projet Manhattan ne serait que l'arbre qui cache la forêt. En réalité, ce n'est pas un, mais des projets que les USA ont secrètement mis sur pied. Plus inquiétant encore, la puissance de l'atome ne serait rien comparée aux découvertes des savants de Los Alamos...

En quelques années, Jonathan Hickman est devenu un incontournable dans le paysage comics. Créateur du très remarqué The Nightly News chez Images et collaborateur majeur pour S.H.I.E.L.D, Fantastic Four et Secrets Warriors chez Marvel, il propose dans Projets Manhattan une uchronie teintée de fantastique et de science-fiction. À l'instar d'Alan Moore dans la Ligue des gentlemen extraordinaires, le scénariste a assemblé une équipe de gens illustres (les scientifiques du vrai projet Manhattan). Toujours comme son éminent collègue, il les a dotés de personnalités complètement barrées (ainsi Robert Oppenheimer est en fait Joseph, son frère jumeau, un anthropophage schizophrène qui acquiert le savoir des autres en les mangeant). Cette effrayante équipe est dirigée par un général mégalomane échappé de Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Face à eux, des méchants extra-terrestres et autres créatures venues d'univers parallèles, la lutte est saignante et radioactive.

Malheureusement, ce qui pourrait se lire comme une œuvre provocatrice, se résume à une enfilade de situations chocs invariablement vides. Hickman préfère brosser les fans dans le sens du poil en rabâchant les poncifs du genre (théorie du complot, les Martiens sont là, les génies sont des fous, etc.). Il se simplifie également la tâche en oblitérant tout contenu scientifique en préférant des explications « venues d'ailleurs ». De plus, la psychologie de ses héros reste, malgré son emphase, des plus faibles. Elle se limite immuablement à une observation de la dualité de l'âme ; oui, il y a une part de mal et de bien en tout un chacun. Certains épisodes sont, certes, amusants, voire percutants, mais ne provoquent jamais un quelconque embryon de réflexion.

Nick Pitarra est aux pinceaux. Sans démériter, le dessinateur semble avoir hésité entre une approche purement caricaturale et une autre plus réaliste. De plus, le style manque drastiquement de caractère. Plusieurs passages semblent tout droit sortir d’œuvres de Geoff Darrow ou de Mœbius. Si ces références sont flatteuses, elles montrent surtout que Pitarra n'a pas su imposer sa patte sur le récit et a préféré piocher des solutions chez les autres plutôt que dans son encrier.

Nouvelles expériences aux ingrédients datés, Projets Manhattan ressemble, pour l'instant, plus à un pétard mouillé qu'à un feu d'artifice. À réserver aux inconditionnels du genre.

Moyenne des chroniqueurs
3.5