Monsieur Coucou

A bel a tourné le dos au Liban il y a de nombreuses années et se fait dorénavant appeler Allan. Il ne parle plus la langue, il ne pratique plus les rites de l'Islam et il ne répond pas aux appels de son frère et de sa sœur qui tentent désespérément de le joindre. Il vit en France, avec son épouse, Prune, et sa belle-mère, Thésée, qui se meurt du cancer. Cette dernière est bien la seule à pouvoir le persuader de retourner au Proche-Orient. Ce retour aux sources provoquera une prise de conscience : on ne se coupe pas si aisément de ses racines.

Joseph Safieddine trace intelligemment le portrait d’un homme tourmenté. À travers les gestes et les images plus qu’avec les mots, il présente un être complexe, déchiré entre la fuite et la loyauté, entre deux pays, entre deux clans familiaux. Le rythme, lent, permet d’installer le climat à travers lequel une foule d’événements, souvent anodins (une chaussure remise à sa place au début du récit trouve son sens à la fin de l’album), qui contribuent à construire la personnalité du héros, à révéler ses tourments, ses ambiguïtés et l’origine de ses blessures, avant de conduire à une forme de rédemption.

Le dessin de Kyungeun Park est inégal. Son trait, très fin, s’avère particulièrement efficace pour représenter les décors (bâtiments et végétaux) et d’une précision frappante lorsqu’il illustre la faune. Le visage vieilli et fatigué de la condamnée est également rendu avec justesse. Certains acteurs manquent cependant de caractère ; ils ont des physionomies parfois artificielles, à la limite du caricatural, alors que l’ensemble demeure passablement réaliste. Il y a peu à dire sur la composition, généralement sage en quatre bandes, sinon que quelques illustrations pleine page (et même une double, toute bleue avec un petit avion) ne sont pas vraiment significatives et le lecteur se questionne sur l’espace qui leur est accordé. Aux couleurs, chapeau à Loïc Guyon et à Céline Badaroux qui proposent une palette remarquable ; beaucoup de teintes riches, notamment l’ocre et le vert, caractérisent les scènes de jour, alors que la nuit est dominée par le rose.

Qu’elle mange des pigeons bios chassés dans le jardin ou qu’elle fasse le ramadan, la famille est une source intarissable d’inspiration pour les romanciers. Pour le meilleur et pour le pire. Dans Monsieur Coucou, les auteurs font très bien les choses.

Moyenne des chroniqueurs
7.0