Bleu amer

« Comment être juste dans un pays à genoux. »

En 1944, l’Europe se déchire. Mais au large de la Normandie, dans l’archipel Chaussey, les gens sont loin de tout cela. Lorsqu’ils trouvent un parachutiste américain, les pêcheurs de homards sont divisés. Que faire avec lui, le cacher ou le confier à l’envahisseur allemand ? Pierre, le capitaine du Pauv misère souhaite le dissimuler ; Jonas est pour sa part convaincu qu’il serait plus prudent de le livrer. Voilà un cas de conscience pour ces insulaires habitués à ne se mêler de rien. Sur ces îles entourées de plages, le militaire tombé du ciel est le grain de sable dans l’engrenage des jours qui se suivent et se ressemblent beaucoup trop.

Pour son premier scénario, Sylvère Denné favorise le silence et la lenteur. Aussi, il n’hésite pas à mettre en scène de nombreuses pages sans narration ni dialogues. Dans cette histoire où il ne se passe finalement pas grand-chose, le scénariste prend tout son temps pour établir les lieux, présenter ses personnages et explorer leurs motivations, pour ausculter un bout de terre en marge du continent et de son tumulte. Un endroit où nombreux sont ceux qui s’ennuient, boivent pour se désennuyer et, au moment de décapiter un crustacé disent : « Tu sais, je t’enlève tous tes problèmes. »

Sophie Ladame est également une débutante dans la bande dessinée. L’artiste a tout de même du métier, comme en témoignent ses recueils d’illustrations réalisées un peu partout dans le monde. L'album a d’ailleurs l’allure d’un carnet de voyage. Sur ce qui semble être un papier industriel, elle propose un crayonné, parfois achevé, parfois moins, qu’elle rehausse à l’occasion de bleu ou de blanc. Sous son dessin se dévoile la trame de la feuille de type Kraft et, à quelques occasions transparaissent des fragments de cartes maritimes, rappelant en cela l'œuvre du peintre Pierre Alechinsky. Bien qu’il demeure singulier, son travail est d’une grande lisibilité.

Porté par une démarche artistique audacieuse et originale, Bleu amer jette un regard profondément humain sur les hommes et les femmes, leur grandeur et leur lâcheté.

Moyenne des chroniqueurs
7.5