Merdre - Jarry, le père d'Ubu

A dolescent, Alfred Jarry crée son personnage fétiche, lequel l’accompagnera tout au long de son existence. En fait, et c’est troublant, il finira pratiquement par fusionner avec lui. Génie précoce, il a rapidement la chance de frayer avec le gratin littéraire. Fréquentant André Gide, Guillaume Apollinaire et Paul Valéry, son avenir dans le milieu des Lettres semble assuré. Le jeune homme s’avère cependant irresponsable, il fait fi des délais et ingurgite tous les jours des litres d’alcool. Ses écrits connaissent un succès mitigé et il n’a que 35 ans lorsqu’il décède. Ce n’est qu’après plusieurs années que son œuvre est redécouverte par André Breton.

Rodolphe a signé au-delà d’une centaine de scénarios (Trent, Amazonie, Cliff Burton, etc.), en plus de travailler comme critique et essayiste. Dans Merdre - Jarry, le père d’Ubu, il propose le fruit d’une recherche rigoureuse sur les vies, personnelle et artistique, du héros. De facture classique et linéaire, son exposé traite des épisodes les plus significatifs qui ponctuent le destin du marginal. Contaminé par l’esprit fantasque de son sujet, il met en scène un trio de bouffons qui, tel un chœur grec, se réjouit, s’étonne, questionne, commente les événements ou annonce ceux à venir. Il n’hésitera par ailleurs pas à interrompre le cours de sa narration pour expliquer comment on fabrique un Père Ubu ou pour présenter le monde des arts de la fin du dix-neuvième siècle. Alfred Jarry est unique et il en va de même de sa biographie.

Depuis une décennie, Daniel Casanave multiplie pour sa part les récits de vie d’écrivains : Charles Baudelaire, Gustave Flaubert, Mary Shelley, Paul Verlaine et, tout récemment, Gérard de Nerval. La singularité de sa démarche repose dans le fait qu’il a collaboré avec une multitude de confrères (David Vandermeulen, de même que des scribes moins connus) et de maisons d’édition (Les Rêveurs, Casterman, Lombard, etc.). Certains livres sont imprimés à l’italienne, d’autres pas, la plupart sont en couleurs, mais pas tous, et les formats sont variés. Bref, la seule chose qui réunit toutes ces entreprises est le trait du dessinateur.

Ses acteurs filiformes, caricaturaux et souvent minimalistes se reconnaissent au premier coup d’œil. Bien que son style évolue très peu d’un projet à l’autre, ses illustrations demeurent agréables, notamment ses représentations de la ville qui se révèlent particulièrement soignées. En quelques coups de crayon, en apparence négligés, l’artiste a le don d’aller à l’essentiel et de transmettre une émotion. Mentionnons que cet ouvrage constitue un retour aux sources puisque son tout premier album, publié en 1980, était une adaptation d’Ubu roi.

Un littérateur de plus au panthéon de Daniel Casanave. Une belle incartade dans l’univers du premier pataphysicien, dont la destinée affiche de grandes similarités avec celle de l’auteur du Voyage en Orient, dont l’histoire a été dessinée, il y a quelques mois à peine, par le même bédéiste, chez le même éditeur.

Moyenne des chroniqueurs
8.0