D'en haut la Terre est si belle

L orsque Franklin Jones reçoit sa lettre de mobilisation pour la guerre du Vietnam, la panique s'empare de lui et ses crises d'angoisse reprennent de plus belle. Le professeur, chercheur en langage neuronal, repense alors à la proposition de son ami Martin, agent du gouvernement. Celui-ci, avec l'accord de ses supérieurs, lui a proposé une mission particulière qui pourrait lui éviter d'aller sous les drapeaux : se rendre en U.R.S.S. pour aider le major Akim Smirnov à surmonter ses blocages psychologiques pour mieux retourner dans l'espace. Alors que les deux géants se livrent une course contre la montre dans la conquête des étoiles, qu'un américain débarque en Union Soviétique pour aider les russes à « remporter » cette bataille paraît saugrenu. Même pour Franklin...

Toni Bruno a de l'imagination ! De ce point de départ rocambolesque et original, il dresse, en deux cents planches, une belle histoire de confiance, d'entraide et finalement d'amitié entre deux hommes que tout oppose. Dès l'introduction, la narration peut sembler saccadée, voire chaotique, mais elle permet de donner rapidement de la consistance au trouble dans lequel le professeur Jones est plongé. Le lecteur ressent parfaitement son malaise comme ses doutes et ses peurs face à ce qui lui est demandé. L'hostilité de la plupart de ses hôtes, la relation filiale entre Sergueï, le mentor, et Akim, le poulain, mais aussi l'investissement dont fait preuve l'Américain pour soigner le Russe sont parfaitement retranscrits et donnent à cette aventure une épaisseur intéressante. Et il en faut tant par moments tout cela semble surréaliste !

Mais l'essentiel du propos n'est pas là, il réside plutôt dans les similitudes entre les deux personnages principaux et les liens qu'ils nouent, lentement. Leurs rapports avec leurs parents, leur traumatisme, sa manifestation et l'image qu'il leur renvoie d'eux-même, les montées de stress qui s'emparent d'eux et les privent de leurs moyens... Tous ces éléments sont autant de points communs qui, au final, les poussent à s'ouvrir l'un à l'autre, parfois maladroitement, pour réussir à avancer malgré la pression et les enjeux. Toutefois, le manque de liant entre certaines séquences (l'auteur italien use et abuse d'ellipses) et des intentions peu explicites rendent l'immersion aléatoire.

Graphiquement sans fioriture, le dessinateur de Kurt Cobain "When I was an Alien" fait preuve d'une constance remarquable. Son trait ne faiblit pas et même s'il peut lui être reproché un manque d'audace dans la mise en page ou les cadrages, sa prestation s'avère de bonne facture.

La Terre est si belle vu d'en haut est un drôle d'album. À la fois prenant et quelque peu abscons, il aurait certainement gagné à présenter plus longuement les protagonistes, par une introduction plus développée peut-être, pour être totalement convaincant. Malgré une finalité obscure, il reste tout de même un titre intrigant et une jolie histoire d'hommes et d'amitié improbable.

Moyenne des chroniqueurs
5.0